Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

164 nombreux partis socialistes, entre partisans et adversaires de l'affiliation à la nouvelle Internationale communiste. Dans la plupart des cas, le résultat fut une rupture totale ; les minorités prosoviétiques se séparèrent de leurs partis respectifs pour former des partis communistes distincts appartenant à un mouvement international entièrement nouveau. Le schisme sino-soviétique présente certaines analogies avec les scissions de 1903-1905 en Russie et de 1919-1921 dans l'Internationale. Comme pour la scission entre la social-démocratie et le communisme, le désaccord sino-soviétique a procédé de ce qui, à l'origine, était une idéologie commune. Les différences de tactique, de tempérament et de circonstances nationales, ainsi que la question sous-jacente de savoir qui doit diriger le mouvement, semblent avoir eu plus de poids que des différences initiales bien marquées de philosophie et de programme. Les Russes d'aujourd'hui, comme autrefois les menchéviks et les social-démocrates, ont tendance à se reposer sur leurs lauriers, à éviter des actes de violence hasardeux, à se fier à l'évolution naturelle de l'histoire. Les Chinois, eux, font preuve de l'ancienne ferveur bolchévique, ils montrent peu de goût pour le compromis et la progression par étapes, ils prônent l'action délibérée pour faire la révolution. Les critiques des Chinois. à l'adresse de Moscou rappellent les rengaines de Lénine concernant les péchés de« spontanéité » et de« suivisme », c'est-àdire le fait de rester à la remorque des forces sociales de l'histoire au lieu de les diriger. On pourrait, à juste titre, objecter que la scission entre bolchéviks et menchéviks n'offre pas une bonne comparaison, car c'est précisément cette scission qui a produit le mouvement communiste moderne, la discipline, l'unité et la rigueur doctrinale du mouvement communiste qui englobe à la fois la Russie et la Chine étant des produits bolchéviques de la scission de 1903-1917. Il faut donc s'attacher à l'histoire des schismes et des conflits d'opinions à l'intérieur du mouvement communiste, même après qu'il fut installé en Russie et coordonné dans le monde entier par la IIIe Internationale. Romantiques et pragmatistes LÉNINEne se lassait jamais de souligner que l'unité et la discipline étaient les conditions essentielles du succès pour un parti révolutionnaire (attitude maintenue par ses successeurs), et il ne tolérait les défis lancés aux dirigeants que lorsqu'il s'agissait de rivaux sur lesquels il n'avait pas barre, comme ce .fut le cas jusqu'en 1912, tant que bolchéviks et menchéviks cohabitèrent dans un seul et même parti. (Le fait que Lénine ait pu alors approuver jusqu'à un certain point les manœuvres de « scission » a été rappelé par les Chinois en automne dernier, puis en février, pour justifier la formation de groupes antim.oscoBiblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE vites dans un grand nombre de partis communistes.) Cependant, même à l'intérieur du mouvement de Lénine, l'unité fut un désir plus qu'une réalité presque jusqu'à la mort de celui-ci. L'image d'une unité totalement monolithique, automatique et docile dans les rangs de l'Internationale communiste ne remonte qu'à l'époque de Staline. Cette sorte d'unité était elle-même le produit _ d'une histoire mouvementée de controverses, de schismes et d'épurations dans le P. C. soviétique et dans l'Internationale çommuniste. Dès avant la révolution de 1917, ainsi que dans les années qui suivirent, le mouvement bolchévique de Lénine connut des dissensions entre l'autoritarisme pragmatique, représenté par Lénine lui-même, et le romantisme révolutionnaire qui inspirait nombre de ses partisans. Dès 1909, le différend apparut lors de débats sur la question de savoir s'il fallait boycotter la Douma tsariste : Lénine estimait que le boycottage était inopportun du point de vue poHtique, alors que les irréductibles considéraient la participation aux élections comme une trahison du principe révolutionnaire. Le résultat fut une épuration : Bogdanov et autres romantiques de gauche furent expulsés du parti. Cela n'empêcha pas de nouvelles dissensions, notamment avec les ultra-nationalistes dirigés par Boukharine et Piatakov, entre 1914 et 1917. En 1917, après la chute du tsar et l'installation du Gouvernement provisoire, Lénine lui-même adopta la tactique du risque en préconisant une révolution prolétarienne immédiate. Ce point de vue était appuyé notamment par les romantiques du type Boukharine, ainsi que par les nombreux éléments d'extrême gauche du parti menchévik passés à Lénine entre 1914 et 1917 - des gens comme Alexandra Kollontaï, Sokolnikov, Radek et, enfin, Trotski - tous, soit dit entre parenthèses, des émigrés. Parmi les bolchéviks qui vivaient dans la clandestinité en Russie, seule une petite faction à Pétrograd, dirigée par Chliapnikov et, fait surprenant, par Molotov, adopta le principe de l'insurrection immédiatement après la révolution de Février. La grande masse du parti, sous la conduite de Kamenev et de Staline, se prononça en faveur du Gouvernement provisoire et d'une guerre défensive. Lorsque Lénine revint en Russie en avril 1917, Staline s'empressa d'adopter la tactique extrémiste du chef, alors que Kamenev, en compagnie de Zinoviev et de Rykov, dirigeait une minorité anti-insurrectionnelle qui resta à la traîne jusqu'à ce que la révolution d'Octobre fût un fait accompli. , Toutefois, le lien qui unissait Lénine aux romantiques fut éphémère, comme en témoigne son ouvrage de 1917, L'Etat et la Révolution. Trois ou quatre mois après Octobre, Lénine abandonna son point de vue utopiste sur la politique étrangère de guerre révolutionnaire et la politique intérieure de gestion démocratique par les travailleurs. Après une lutte acharnée avec les tenants de la doctrine ultra-révolutionnaire inspirée par Boukharine, Unine obtint que la Russie . '

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