V. S. FRANK entre !'U.R.S.S. et la République populaire de Chine allait s'élargissant ne put manquer d'être bien reçue en Union soviétique. * ,,.,,. CELADIT,le citoyen soviétique moyen se soucie fort peu de la Chine. Le Moscovite d'une trentaine d'années peut avoir été saisi par l'étrangeté de l'opéra chinois ; il peut se souvenir vaguement du slogan relatif au « péril jaune»; il se peut qu'il ait entendu des histoires sur la cruauté des Chinois au cours de la guerre civile ; ses parents ont pu lui affirmer que, jadis, les meilleures blanchisseries de Russie étaient tenues par des Chinois. Mais toutes ces impressions, tous ces souvenirs n'affectent pas directement ses intérêts personnels et ceux de la collectivité à laquelle il appartient, suivant la façon dont il les envisage. Emotif quand il s'agit des relations de son pays avec l'Occident, il fait preuve d'un étrange manque d'intérêt quant aux relations de l'Union soviétique avec sa grande voisine d'Asie. Ce contraste n'est pas dû seulement à l'immense distance géographique qui s'étend entre les territoires formant le cœur des deux civilisations (l'Amérique est encore plus lointaine). Il n'est pas dû non plus tout simplement à la date récente du conflit entre la Russie et la Chine (les Russes ont pris conscience de la présence géopolitique de la Chine vers la fin du xvue siècle, cent ans avant la naissance des Etats-Unis). Il est dû en grande partie au fait que, en dépit de l'inte1;1se activité impérialiste et des efforts de colonisation de la· Russie en Orient, ses destinées militaires, politiques, économiques, culturelles et religieuses l'ont toujours liée à l'Occident. Ainsi, alors que l'attitude de la Russie envers l'Europe (et envers l'Amérique, en tant qu'extension de celle-ci) constitue un ensemble d'émotions profondément personnelles, né de· relations complexes et anciennes - amour et haine, admiration et mépris, envie et fierté - son attitude envers sa voisine d'Asie est étrangement impersonnelle et dépourvue de curiosité. En dépit des liens idéologiques établis entre les deux régimes au cours des dix années qui suivirent la révolution communiste en Chine, les contacts entre les deux pays ont été remarquablement ténus. Selon Pékin, 10.800 experts soviétiques se sont rendus en Chine au cours des dix premières années de la République populaire, la plupart d'entre eux y séjournant enyiron tro~s ans. Comme b7aucoup d'entre eux étaient paros avec leur famille, cela doit avoir amené de 25.000 à 30.000 citoyens soviétiques en Chine. Mais il semble bien que les relations sociales entre nationaux des deux pays furent rares ou inexistantes. D'autre part, près de 36.000 étudiants, techniciens et spécialistes chinois se sont rendus en U.R.S.S. pour leur formation. Là également, les contacts spontanés semblent avoir été fort rares. Dans les universités soviétiques, les étudiants chinois, avec leur manie du travail, se sont rendus aussi impoBibli·otecaGino ~ianco 161 pulaires que peut l'être un stakhanoviste parmi ses camarades d'usine parce qu'il élève les normes de rendement 2 • Pour le moment, la plupart des Russes regardent la Chine avec une incompréhension complète, une crainte et une méfiance vagues. C'est exactement le sentiment qu'éprouvaient les Européens envers la Russie tout au long du xixe siècle. * • • LE CONFLITentre les partis communistes chinois et soviétique a mis en lumière l'existence d'une crise grave à l'intérieur du mouvement communiste international. Déjà très atteint par la rébellion yougoslave, ce mouvement, jadis rigidement centralisé à Moscou, semble maintenant pousser des germes dans toutes les directions. Il est cependant peu probable que l'homme de la rue soviétiquç en soit profondément préoccupé ou ravi. Pourquoi donc le serait-il? Certes, immédiatement après la révolution d'Octobre, Lénine réussit à faire croire pendant quelque temps que le « coup d'Etat bolchévique» n'était qu'un prélude à la révolution mondiale qui devait éclater dans les pays industriels et de là s'étendre à d'autres régions. Mais cette confiance ne dura pas, et en 1924 il était clair que la Russie devait « marcher » toute seule. Dès lors, les partis communistes étrangers devinrent un avantage très mitigé. Staline ayant formulé sa politique du « socialisme dans un seul pays », !'U.R.S.S. tourna une fois de plus son attention vers l'intérieur. Ni la menace d'agression grandissante du fascisme, ni la guerre d'Espagne, ni même la menace d'une attaque par les Allemands et les Japonais ne réussirent à ressusciter la croyance du peuple en la solidarité internationale du prolétariat. La guerre et l'immédiate après-guerre ont conféré aux partis communistes étrangers - dans les pays « libérés » tout au moins - une position plus éminente. Mais la personnalité des Bierut, Rakosi, Ulbricht et Gottwald était peu propre à susciter l'enthousiasme. On ne voyait en eux que des agents du Kremlin à l'étranger. L'orgueil de la victoire et l'idée que l'Union soviétique était devenue l'une des plus puissantes nations du monde, combinés aux effets du slogan d'avant guerre sur le « socialisme dans un seul pays », _engendrèrent en Russie une sorte de communisme chauvin peu propre à faire renaître la conscience internationale parmi les masses. Les Russes, doués d'un certain. cynisme sain, comprirent parfaitement que le communis~e ne réussissait en Europe que là où les forces armées soviétiques et le M.G.B. pouvaient l'appuyer. Dans la mesure où le Soviétique moyen pouvait penser aux partis communistes d'autres pays, il ne leur accordait qu'indifférence ou mépris. 2. Le meilleur exposé relatif à l'aspect humain des relations sino-soviétiques est dû à Klaus Mehnert, au chap. XII de son livre : Peking and Moscow, New York 1963.
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