ESQ!IISSE D'UNE SOCIOLOGIE DE L'ÉCOLE par Léon En1ery LES MOTS sont des êtres vivants, qui changent de sens; mais il arrive aussi qu'ils se pétrifient et qu'on continue par routine à les appliquer sur des réalités radicalement transformées. Celui qui cherche à comprendre les régimes cc populaires» d'aujourd'hui en s'aidant de la terminologie classique relative à la démocratie et à la république risque fort d'être induit en erreur ou, ce qui est pire, en pleine confusion. De même, gardons-nous de prendre pour guide ou pour flambeau une conception de l'école qu'immortalisa le plus bel âge de la pensée grecque. Alors, on voyait se réunir quelques douzaines d'auditeurs autour d'un Platon ou d'un Aristote, les contingences matérielles étaient abolies et l'on se consacrait à une pensée spéculative qui, entièrement indifférente à toute application pratique, requérait, selon l'expresse déclaration de Platon, l'effort de toute une vie. Entreprise admirable dont nous continuons à bénéficier largement ; mais enfin, du vivant même des maîtres incomparables, combien d'Athéniens soupçonnaient l'existence de l'Académie et du Lycée ? Si donc nous voulions demeurer fidèles à la tradition nous commencerions par nous rappeler qu'une école est à la fois ce qu'il y a de plus désintéressé, de plus nettement séparé de la vie commune, de plus hautainement aristocratique ; cela seul nous montre déjà quel chemin nous avons parcouru. Mais il faut tracer quelques raccords. Nous ne pouvons affirmer sans certaines réserves que jusqu'à nos jours les gouvernements se sont fort peu souciés des écoles, considérées avant tout comme des créations privées. L'anecdote montrant Charlemagne en train d'inspecter son école palatine - et qui tint longtemps sa bonne place dans l'imagerie d'Epinal de la pédagogie primaire - avait le mérite de nous faire comprendre qu'une telle institution était une pépinière de Biblioteca Gino Bianco scribes et de légistes, autant dire une haute école d'administration. En Occident, on n'alla guère au-delà de certaines formes rudimentaires, mais est-il besoin d'alléguer l'énorme développement du mandarinat chinois, exemple fameux d'une école officielle destinée à instruire simultanément une caste de lettrés et un corps de fonctionnaires, les besognes bureaucratiques étant inséparables du respect rituel de l'écriture et d'une sagesse conservatrice ? Quelque important qu'il soit, cet exemple n'indique pas, cependant, la ligne majeure de l'évolution historique. Qui ne sait que partout le développement de l'école fut affaire religieuse et dépendit à peu près exclusivement de l'action des Eglises ? Ecoles chrétiennes, coraniques, bouddhiques, déploient devant nous un merveilleux panorama intellectuel que dominent des cimes glorieuses : les grandes universités médiévales, les collèges des jésuites. Retenons-en seulement deux traits : d'abord celui qui nous montre le développement de l'institution en partant du sommet pour descendre vers le niveau moyen, comme si l'arbre avait bien réellement sa racine dans le ciel ; ensuite le fait capital que, même si l'on tenait compte, comme le firent très habilement les jésuites, de l'évolution générale des mœurs et des préoccupations, il restait inconcevable que l'éducation fût détachée des vérités éternelles et de l'orientation des âmes vers la lumière. Cela posé, et l'arrière-plan étant fourni par cette rétrospective très sommaire que chacun complétera selon ses vues, on prendra plus exactement la mesure de l'étonnante mutation qui s'accomplit depuis un siècle, de cette révolution scolaire au moins égale par l'ampleur et la brusquerie à la révolution industrielle et technique qui l'a précédée de peu et dont il serait téméraire de soutenir qu'elle en est la cause. Si l'on veut
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