136 Galina Sérébriakova, sur qui notre presse n'a donné que des informations inexactes, est particulièrement bien placée pour savoir de quoi et de qui elle parle. Epouse de Léonide Sérébriakov, ancien secrétaire du Parti (avant Staline), puis de Grégoire Sokolnikov, ancien commissaire aux Finances et ambassadeur à Londres, tous deux hautement estimés de Lénine comme de tous ceux qui les ont connus, tous deux condamnés dans le procès Piatakov-Radek de 1937 (Sérébriakov à mort, Sokolnikov à dix ans de prison, donc à une mort lente), elle appartenait par sa famille au milieu le mieux renseigné de Moscou sur les affaires du Parti et de l'Etat 2 • Il n'y a aucune raison de mettre en doute sa bonne foi quand elle accuse Ehrenbourg, et l'on devine ce que sous-entend le correspondant du Monde, on comprend à quelles conditions Ehrenbourg a pu survivre. Quant à Poskrebychev, il ne saurait être déconsidéré, n'ayant jamais été considéré ni considérable, et on ne proposera pas sa candidature à un prix Montyon, mais en tant que chef du secrétariat de Staline et actuellement aux ordres des nouveaux maîtres, il peut apporter une contribution précieuse à l'histoire contemporaine, avec preuves vérifiables à l'appui. Khrouchtchev n'est pas candidat non plus à un prix Montyon, mais ses discours aux XXe et XXIIe Congrès, lus avec soin et passés au crible par ceux qui savent discerner le vrai du faux, sont des sources importantes pour l'histoire impartiale. Rien ne prouve, d'ailleurs, que les Mémoires de Poskrebychev verront jamais le jour; en tout cas, il y aura sans nul doute deux versions, dont la plus intéressante restera longtemps dans un coffre. D'après le Monde du 28 décembre, « la version communément admise rapporte que la majorité des auditeurs ne fut pas en faveur de l'accusatrice», mais Ilitchev, le 7 mars, renversa la tendance en fustigeant Ehrenbourg de verte manière, évoquant son passé antisoviétique, citant ses flatteries à l'adresse de Staline, montrant le caractère tendancieux e~ frelaté de son autobiographie, et surtout"laissant comprendre qu'on peut en dire bien. davantage. Dès lors, Ehrenbourg n'avait plus qu'à se taire, conformément à la règle de ce milieu où le coupable, pas plus que l'innocent, n'a la parole quand la voix d'en haut s'est fait entendre. Dès le lendemain, le discours-fleuve de Khrouchtchev balayait toute trace d'incertitude quant à la ligne de conduite adoptée par la direction collective, condamnant la « coexistence pacifique des idéologies » et réaffirmant la primauté du Parti sur les tendances et les expressions de l'art et de la littérature. 2. Elle avait écrit> dans les années 30, une série d'esquisses biographiques sur Les Femmes de la Révolution française (Théroigne de Méricourt, Simone Evrard, Manon Roland, Lucile Desmoulins, etc.) rééditées en 1958 avec une préface du professeur A. Manfred. Elle a publié ensuite une vie romancée de Karl Marx en trois volumes : La Jeunesse de Marx, rééd. 1957; L' Enlèvement du feu, 1961 ; Les Cimes de la vie (vient de paraître). Bibli'oteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL On aura tout loisir de commenter ce discours plus en détail, à moins qu'entre-temps le touche- , à-tout en chef n'en prononce plusieurs autres. Il est excessif de l'interpréter comme une « réhabilitation partielle» de Staline, ainsi qu'on l'a pu lire dans la presse, puisque Khrouchtchev n'a fait que paraphraser ce qu'il avait déjà dit en janvier 1957 : « Staline écrasait nos ennemis. Personnellement, j'ai grandi sous Staline. Nous pouvons être fiers d'avoir coopéré à la lutte contre nos ennemis pour le progrès de notre grande cause. (...) Sous ce rapport, je suis fier que nous soyons staliniens. » Ce sont des têtes légères en Occident qui veulent « déstaliniser »Khrouchtchev à tout prix et le dépeindre sous les traits d'un saint Georges terrassant le dragon du stalinisme. Mais depuis dix ans Khrouchtchev n'est que l'interprète du Comité central, où se dessinent des fluctuations empiriques sous la pression des circonstances, ce qui incite à mettre l'accent tantôt sur les mérites de Staline, tantôt sur ses turpitudes, selon les exigences politico-saisonnières. Les rares écrivains soviétiques qui aient pu récemment respirer l'air de l'Occident et causer en confiance n'ont pas embelli la réalité ni caché leurs vues quant à la libéralisation hypothétique du régime dans un lointain avenir. Les « rencontres » intellectuelles de décembre et de mars justifient leur pessimisme. A bien des égards, le discours de Khrouchtchev n'indique aucun changement sensible en politique, même si les littérateurs et les artistes font pour un temps les frais du zigzag épisodique. Les soviétologues qui décèlent, une fois de plus, la fameuse « pression chinoise » sur le cours des événements devraient au moins expliquer l'incidence de cette pression sur la visite d'Adjoubeï au Saint-Siège. Si l'on croit que le sort d'Ehrenbourg puisse servir de critère, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, car Khrouchtchev a prononcé cette parole rassurante : « Le camarade Ehrenbourg commet une faute idéologique grossière, et notre obligation est de l'aider à la comprendre. » On sait ce qu' « aider » veut dire, et l'on peut compter sur Ehrenbourg pour se censurer luimême, au besoin « avec l'aide de deux ou trois censeurs ». La sortie de Khrouchtchev contre Béria et Malenkov dans ce singulier discours, sa longue digression sur les juifs, ses coq-à-l'âne apparemment inexplicables se rattachent à des thèmes distincts de la controverse sur le « réalisme »et le « formalisme » qui motivait les mémorables « rencontres », sauf à considérer que tout est dans tout et réciproquement. Mais le dernier mot n'est pas dit, là_où les politiciens ont les moyens de ,vaincre sans convaincre. L'engeance des Soljénitsyne proliférera dans les « sous-sols ». Car, selon Alexandre Herzen, à qui Lénine rendait pleine justice, « pour un peuple dépourvu de liberté politique, la littérature est la seule tribune d'où il puisse entendre les cris de son indignation et de sa conscience». B S • OUVARINE.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==