B. SOUV ARINE l'Etat, présent ou futur. Lénine écrivait textuellement : « Certes, la littérature s'accommode aussi peu que possible d'une réglementation, d'un nivellement mécanique, de la domination d'une majorité sur la minorité. Certes, il faut assurer, dans ce domaine, un champ plus vaste à l'initiative personnelle, aux inclinations individuelles, à la pensée, à l'imagination, à la forme et à l'idée. Tout cela est indiscutable ... » On voit que les idées de Lénine là-dessus étaient l'antithèse du léninisme de nos jours 1 • Donc, Ehrenbourg n'a pas eu tort de s'en réclamer, de rappeler que toutes sortes d'écoles, de groupes et de cénacles (symbolistes, acméistes, futuristes, constructivistes, imaginistes, ultimatistes, formalistes, réalistes et autres istes) florissaient en Russie soviétique du vivant de Lénine, ce qui n'empêche qu'Ilitchev ait eu raison de le rembarrer en rappelant son stalinisme militant de date récente, mais ceci est une autre histoire. Pour en revenir à Maïakovski, qui horripilait Lénine mais sur lequel celui-ci s'exprimait en public avec une modération indulgente, un de ses poèmes (si l'on peut dire) a donné à Lénine la seule occasion de le louer, d'une manière qui vaut d'être rapportée, à l'appui de ce qui précède. Ce poème au titre intraduisible signifiant quelque chose comme : « Ils ne cessent de siéger» (c'est-à-dire de tenir des réunions, au lieu de travailler utilement) critiquait vertement la manie de délibérer en permanence. Lénine le commentait en ces termes : « Hier j'ai lu fortuitement dans les Izvestia un poème de Maïakovski sur un thème politique. Je ne suis pas de ceux qui admirent son talent de poète, tout en admettant mon incompétence en ce domaine. Mais depuis longtemps je n'avais éprouvé une telle satisfaction, du point de vue politique et administratif. Dans ce poème, il raille à fond les réunions et se moque des communistes qui ne cessent de siéger à n'en plus finir. Je ne sais ce que cela vaut comme poésie, mais en matière politique je garantis que c'est absolument juste. En effet, nous sommes dans la situation de gens (situation très bête, il faut dire) qui ne cessent de siéger, de former des commissions, de tirer des plans à n'en plus finir» (discours du 8 mars 1922). Ainsi, Lénine qui, d'habitude, ne prête pas attention aux vers de Maïakovski,a lu par hasard un poème (il ne s'agit que de versification didactique) dont il loue le sens « politique et administratif », tout en se défendant modestement d'être qualifié pour en juger la valeur littéraire. Et, précisément, il renchérit sur le poète pour dénoncer la manie de tenir réunion sur réunion, de bavarder sans arrêt. Cela n'a vraiment aucun rapport avec le comportement de ses faux disciples qui prétendent régenter l'inspiration poétique, le talent artistique et le reste. Khrouchtchev touche1. Nous citons à dessein la traduction française de l'édition officielle : V. I. Lénine, Œuvres complètes, tome VIII, pp. 481-486, Edition, sociales internationales, Paris 1934. Biblioteca Gino Bianco 135 à-tout et ses compères prennent exactement le contre-pied de la modestie de Lénine et se mêlent de tout ce qui ne regarde pas le pouvoir, du moins le pouvoir tel que le comprenait Lénine. Et ils ne sortent pas de la « situation très bête » que réprouvait Lénine, consistant à tenir réunion sur réunion, à siéger à n'en plus finir. Lénine disait de Zinoviev : « Il copie mes défauts. » Khrouchtchev copîe les défauts de ceux qui ont copié les défauts de Lénine, même certains défauts de Staline. * )f )f LES DEUX DISCOURS d'Ilitchev prononcés lors des « rencontres » de décembre et de mars offrent, même expurgés, ample matière à ironiser sur l' « idéologie » primaire et officielle du régime soviétique actuel. Mais celui de Khrouchtchev du 8 mars les éclipse qui, sur quatre pages de la Pravda, traite de tout et de bien d'autres choses encore, notamment pour la première fois de la sempiternelle « question juive», en long et en large, et surtout de travers. Comme il faut se limiter, on ne peut qu'effleurer certains points qui ont retenu l'attention du monde occidental. Plusieurs écrivains dont les noms sont connus au-dehors, Ehrenbourg, Paoustovski, de longue date, Evtouchenko, Nekrassov, Voznessenski, de fraîche date, ainsi que deux ou trois peintres et un sculpteur, ont été pris à partie pour leurs qualités ou leurs défauts par les détenteurs de la vérité révélée, forts d'un argument irrésistible, l'appui de l'Etat policier. Somme toute, on leur a fait à Moscou, mutatis mutandis, le coup des « cent fleurs », d'invention chinoise. Cela ne veut pas dire que tout soit faux dans la critique assénée aux hérétiques par les tenants de l'orthodoxie : cela dépend des cas et des gens. A l'instar de Lénine, on s'en tiendra ici à la politique et, par conséquent, au sort plus ou moins symbolique d'Ehrenbourg, qui a défrayé la chronique et contribué à obscurcir l'état des choses pour le public profane. Ehrenbourg a pu impunément se livrer à une auto-apologie trompeuse d'un bout à l'autre dans le Figaro littéraire, mais à Moscou il trouve à qui parler. Le correspondant du Monde a rapporté, le 27 décembre, à mots couverts, son algarade avec Galina Sérébriakova, une rescapée de la géhenne soviétique, et qui n'a pas froid aux yeux : « Cette femme formulait contre l'auteur du Dégel des accusations tellement graves et incroyables, non seulement d'ordre politique mais aussi d'ordre pénal, qu'il serait malséant de les reproduire. (...) Le scandale fut d'autant plus grand que l'accusatrice déclara s'appuyer sur le tén1oignage d'un homme pour le moins déconsidéré, M. Poskrebychev, ex-secrétaire personnel de Staline, qui a complèten1ent disparu de la scène depuis la mort du dictateur, mais qui terinine tranquillement à Moscou, aujourd'hui, la rédaction de ses Mémoires, >) Ceci 111éritcl'attention du lecteur,
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