186 De l'objectivité à la crédulité ALFRED J. RIEBER : Stalin and t~e F~ench Communist Party, I94I-I947. Columbia University Press, New York et Londres, 1962, 395 pp. CETOUVRAGeEmbrasse le sujet indiqué par le titre depuis l~vasion de l'Union sov~étique (juin 1941) jusqu'à la fondation du Cominform (octobre 1947), celle-ci consécutive à l'adoptio~ du plan Marshall. Inévitablement, il traite aussi de l'arrière-plan et des circonstances, c'est-à-dire du déroulement de la guerre et des lendemains de l'armistice. L'auteur a consciencieusement puisé aux sources accessibles et il a fait œuvre méritoire en élaborant l'immense documentation, en grande partie trompeuse, où se reflète l'action communiste tantôt publique, tantôt clandestine, pendant. la période étudiée, notamment la documentation soviétique. Il s'est visiblement efforcé d'être impartial, au point d'accorder créance à des textes communistes qui ne contribuent pas à révéler la vérité mais, au contraire, l'obscurcissent ou la déforment. Tout en rendant hommage à cet effort d'objectivité, on est tenté de discuter sur bien des points les vues ou les interprétations qui font la part trop belle aux Sl;liveur_dse ~talin_e en France. Mais une telle discussion exigerait des pages et des pages. En 1939, écrit M. Rieber, « les leaders s?v~é: tiques o~t ,ess~yé de res~er neutres !>: En :ealite ils ont aide Hitler de diverses marueres, economiquement et politiquement. « Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué 1~ France et l' 1\ngleterre mais la France et 1Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne », déclarait Staline (Pravda, 30 nov. 1939). La presse soviétique justifiait l'agression allemande contre le Danemark et la Norvège en accusant la France et l'Angleter~e d'avoir violé cc la souveraineté des pays scandinaves » (Izvestia, 11 avril 1940). Après la défaite de la France, Molotov exprimait à l'Allemagne « les plus chaudes félicitations du gouvernement soviétique pour les succès splendides des forces armées allemandes » et plus tard il affirmera que cc l'accord germano-russe n'a pas été sans influenc~ sur les grandes victoires allemandes » (NaziSoviet Relations, pp. 154 et 232, 236_, ~ashington 1948). On pourrait accumuler les citations de ce genre. Les communistes français n'ont fait que. se conformer avec docilité à cette ligne de conduite. Jusqu'à la veille de l'attaque allemande contre l'Union soviétique, ils insultaient grossièrement de Gaulle, le « fuyard jusqu'auboutiste de Londres » le cc traîneur de sabre )>, agent de la , • 'A • r• « finance anglaise» et des_ .« mterets imperialistes ». Au lendemain de cette attaque, ils se rallient aux gaullistes 1;1aguère « représentant les Bi'blioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL banquiers de la City » et diront bientôt « n~tre confiance en le général de Gaulle qui, le prermer, leva l'étendard de la Résistance». M. Rieber écrit vers la fin de son livre : « Il est difficile de définir la nature exacte des relations entre le parti communiste français et le pouvoir soviétique. » En fait, rien n'est plus facile : jusqu'en 1953, Staline commande, les communistes français obéissent. Dans la guerre comm~ dans la paix, 1~ rôl~ des communistes, français ou autres, consiste a défendre le régime de Staline, à servir aveuglément la politique de Staline. C'est d'une sim_plicité qui rend superflus les no_mbreux pomt~ d'interrogation que pose M. Rieber. Quant ,.a l'opinion de Staline sur de Gaulle, on la connait par Harry Hopkins, à qui Staline disait : « C'est Pétain qui représente la France, de Gaulle ne compte pas » (cf. R. Sherwood : Roose'flelt ~nd • Hopkins, t. 2, New York 1949). Staline s est constamment opposé à l'inclusion de 1~ France dans les conseils des cinq grandes pwssances ; il n'a cédé que sous la pression américaine (cf. James F. Byrnes : Cartes sur table, Paris 1Q47; _ Edward R. Stettinius : Roosevelt and the Russians, New York 1949 ; Amiral W.D. Leahy : La Conférence de Ialta, dans le Figaro, 28 mars 1950). Les communistes français se contentaient de faire écho à Staline. Ils n'ont pris qu'une part insignifiante à la Résistance authentique, mais en produisant beaucoup de bruit, de propagande, de fumée et de poussière pour se donner de l'importance. Dans le livre de M. Rieber, ils prennent une place démesurée, alors que l'armée secrète est presque passée sous silence : cela tient sa1;1sdoute_ à l'op: tique spéciale imposée par le titre, mais aussi aux cc sources » utilisées sans la discrimination nécessaire. Un seul exemple doit suffire à montrer la valeur de certaines « sources », celui des 75.000 fusillés communistes dont le parti communiste s'est fait gloire et honneur : quand on en a dressé la liste nominative d'après l'Humanité, il y en avait exactement ... 176, ~ur lesquels plus~eurs n'étaient nullement commurustes (cf. Paul Viret : · Les 75.000 fusillés communistes, Paris, s.d.). Toutes les prétentions communistes sont de même farine. Par souci de fair play, M. Rieber s'est référé à beaucoup d'auteurs indignes de confiance. Son travail considérable aurait donc gagné à être moins riche de références, plus strict dans la sélection des sources propres et des témoignages sincères. Il est vra! qu'?11 universitaire occidental respectueux de regles mtellectuelles et morales a besoin d'une longue pratique avant de soupçonner à quel point les disciples de Staline peuvent se dispenser de principes et de scrupules. B. SOUVARINE.
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