QUELQUES LIVRES Un effort de synthèse A~RÉ PHILIP : , Histojre des faits économiques et sociauxde I8oo a nos;ours (2 vol.). Paris 1963, Aubier, Ed. Montaigne, 383-235 pp. MALGRÉ ses dimensions relativement restreintes, c'est une large fresque d'un siècle et demi de vie économique qu'a brossée André Philip dans ces deux volumés. Le premier, après une courte introduction relative à l'Europe préindustrielle, commence avec la r~volu~ion in~ustrielle en Angleterre et se termme a la veille de la deuxième guerre mondiale. Le second examine les problèmes actuels de structure et de croissance dans les quatre secteurs importants du monde : EtatsUnis, Europe occidentale, pays dits sous-développés et bloc communiste. Cette énumération succincte des faits considérés dans le temps et l'espace suffit à montrer la difficulté d'une telle tâche. Sans pour autant passer pour exhaustive, une étude de l'évolution économique et sociale à l'échelle mondiale tiendrait diffi~il~ment dans une collection de format encyclop~di9ue ; epe ,est presque incompatible avec le_slimites _assign~es à un ouvrage courant. C'est dire que si certams chapitres sont, en dépit de leur concentration, largement traités, d'autres paraîtront à peine esquissés. L'Angleterre et la rrance. du xixe siècle o~t une place proportionnée a leur importance. Il n en est pas de même pour !a ~ra~ce d1! xxe siècle. On aurait aimé que soient indiquees, fut-ce rapidement, les mutations introduites dans notre pays par la guerre de 1914-18 sur les plans technique, industriel, ouvrier et finan~~er. On a l'impres~ion, à la lecture, que la prermere guerre mondiale n'a modifié ni les situations ni les habitudes du peuple français 1 'à . l' ' a ors qu notre avis entre-deux-guerres a vu s'opérer une transformation économique et sociale beaucoup plus importante que celle du Second ~mp~e : l'ant?-ée 1936 et la politique sociale sont a peme relatees. On peut en dire autant de la période l~niniste . de. l'Union soviétique ; en revanche, d est difficile de croire avec l'auteur que les quelques libertés commerciales accordées par Khrouchtchev aux kolkhoziens inaugurent une « grande transformation des méthodes agricoles ». Le second volume, consacré au monde d'aujourd'hui, compense les développements parfois trop inégaux du premier. Dans l'analyse des forces sociales en Russie soviétique, comment ne pas penser que A. Philip projette trop généreusement dans le régime totalitaire les interprétations de type marxiste qui ont cours dans les démocraties occidentales ? Croit-il vraiment, par exemple, que « le groupe social paysan (...) dispose de l'organe d'expression puissant qu'est l'armée » (p. 49) ? L'armée est soumise à la direction du Parti et, à notre connaissance, n'a jamais manifesté jusqu'à présent une quelconque indépendance. Si les paysans constituent un groupe de pression, Biblioteca Gino Bianco 187 c'~st d'une manière passive, en désertant le travail au kolkhoze et en accélérant la disette des pr?duits alimentaires que Khrouchtchev s'efforce vamement de combatt_re.,~u~u1Jepreuve non plus que ~rouchtc\1ev ait elimme les « théologiens du Parti » en « s appuyant, d'une part, sur l'armée ~vec Jo_ukov,d'autre part, sur les techniciens des 1ndu~tr~es de base » (p. 55) *, ni qne « le trust de 1 acier, plus puissant en U.R.S.S. que son correspondant aux Etats-Unis » soutienne le . . ' groupe ant1part1... Il y a certain arbitraire dans ces analogies entre les . groupes sociaux soviétiques et les lobbies occidentaux, et une analyse par ailleurs objectiye devrai_t les éviter pour garder sa valeur demonstrat1ve. La déconcentration industrielle par les sovnarkhozes dont la coordination était s~lo1?l-e n:iot d'un fon~tionnaire soviétique, réser~ vee ~ «Dieu dans le ciel » (p. 60), est aujourd'hui pratiquement annulée par la création d'un « Conseil éc?nomiqll:e s~pé~ieur ». Le plan septennal est en voie de hqu1dat1on avant d'être terminé· les . . ' . , ' mm1steres supprimes sont remplacés par des « comités d'Etat», etc. Par ses volte-face et ses ~ournan~s plus ou m?ins ~~~sques,, la politique eco_nom19uedu pouvoir sov1et1quedefie les explicat~ons a long terme que l'on serait tenté d'esquisser pour en prévoir les finalités. Les ,pages ~onsacrées à l'économie des pays sous-developpes nous ont paru les plus originales de ~'ouv~age. La contradiction entre les prétentions nationalistes à un exclusivisme étatique et les possibilités économiques de ces pays nous semblent caractériser l'aspect chaotique qu'ils présentent aujourd'hui. C'est avec une prudence entièrement justifi~e gue A._Philip dit qu'« il n'y ~ PCfS fe formule :heoriqueuniverselle (...) appliquée 1ndifferemment a tous les pays sous-développés » (souligné par l'auteur, p. 207). Il condamne dans les pays agraires le principe d'une industrialisation massive, impuissante à réduire le chômage, mais c~ère aux gouvernements inspirés par les communistes. Dans sa conclusion, il se refuse à brûler les étapes de l'histoire au nom d'un pseudosocialisme. « En réalité, ils [les pays sous-développés J en sont pour la plupart à Louis XI, Richelieu, au mieux à Colbert, Frédéric II de Prusse ou Joseph II d'Autriche, au stade du despotisme bienveillant et de la politique mercantiliste » (p. 211). Laissant au lecteur le soin d'apprécier des analyses pertinentes sur l'Europe et ses rapports avec les pays anglo-saxons, analyses déjà connues par les positions politiques de l'auteur en faveur de l'u~té européenne, il paraît plus important de souligner quelques-unes des conclusions sociologiques de l'ouvrage. A. Philip rejette tout déterminisme historique au sens strict. Le passé n'offre qu'un schéma aux • Le Monde (3 avril 1963) voit au contraire Khrouchtchev cc en min~r~té? face à un cour:mt dirigé par Sou lov cc appuyé par les militaires »...
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