Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

184 - militaire est, en tant que tel, belliqueux ou pacifique. Ou, tout au moins, s,il est des sociétés ou des régimes dont la vocation est la conquête ou la guerre, il n'en est pas dont la vocation soit la paix. A notre époque, le fait majeur est l'hétérogénéité des unités étatiques, des régimes politiques, des techniques de combat. Etats plurinationaux, intégrations supranationales, blocs impériaux, super-Grands coexistent comme coexistent les mitraillettes, les chars d'assaut, les armes atomiques. (...) Que cette coexistence soit plus pacifique en mots qu'en actes, nul ne s'en étonnera, mais, quand on évoque la catastrophe possible, on est tenté d'admirer qu,en dépit de tout, la coexistence demeure relativement pacifique (p. 307). Le chapitre suivant : « En quête d'un ordre du devenir », expose une doctrine autrement ferme. On y retrouve l'esprit du premier grand ouvrage de R. Aron qui fut, comme on sait, sa thèse de doctorat : Introduction à la philosophie de l'histoire. De cette philosophie, qui a elle-même une histoire, l'auteur rappelle surtout les conceptions les plus récentes, celles de Toynbee, de Q. Wright, de Spengler. Nous ne pouvons que renvoyer à ces pages éclairantes. Dégageons seulement la conclusion, dont l'essentiel est qu'à travers progrès et reculs, les relations internationales se sont fortement rationalisées. Les juristes ont élaboré des concepts qui dominent la mentalité contemporaine ; ils ont précisé les conséquences de la souveraineté et déduit les conséquences du compartimentage des continents et du non-compartimentage des océans, fixé les règles des relations interétatiques d'ordre public et privé. Ces travaux théoriques ont abouti à la création de nombreuses institutions internationales efficaces et durables (ne vient-on pas justement de célébrer le centenaire de l'Union postale universelle, suivant de près la création de la Croix-Rouge internationale?). Bref, les conditions juridiques d'un ordre pacifique international ne sont plus contestées. Mais, parallèlement à ces réalités sociales, la guerre demeure elle aussi comme une sorte de système également rationalisé ; théoriquement mise «hors la loi », elle subsiste comme menace permanente. Le chapitre suivant en étudie les racines biologiques, psychologiques et sociales, en décrit les principaux types, sans négliger les mythes, optimistes ou pessimistes, suscités dans l'esprit des hommes par cette manifestation spectaculaire de la lutte pour la vie. Les considérations historiques, sociologiques et psychologiques prodiguées dans les deux premières parties du livre préparent le lecteur à aborder avec le maximum de compréhension la troisième : « Le système planétaire à l'âge atomique », qui en est la pièce maîtresse. C'est certainement celle qui retiendra, de préférence, l'attention non seulement des commentateurs, mais aussi des dirigeants qui peuvent être amenés à jouer un rôle BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL effectif dans la conduite d'un monde aussi complexe que dangereux. On souhaite que les étudiants des divers instituts de sciences politiques affrontent avec un courage persévérant la lecture de ces quelque 150 pages assurément denses et austères, mais singulièrement enrichissantes. L'objet en est de décrire et de tenter de faire comprendre les données les plus actuelles de la vie internationale ; on ne peut, une fois de plus, qu'admirer la prodigieuse information de l'auteur et la parfaite aisance avec laquelle il circule dans ce labyrinthe. Il dresse d'abord le tableau de ce« monde fini», de plus en plus unifié d'apparence par l'identité des techniques et cependant hétérogène, puisque de minuscules Etats souverains subsistent à côté de vastes empires qui sont pour les premiers, selon leurs idéologies et leurs intérêts présumés ou réels, des centres d'attraction ou des pôles de répulsion; puisque aussi ces Etats, grands ou petits, diffèrent par toutes sortes de composantes internes : opposition des ethnies, pluralité des partis ou prépondérance d'un parti unique, querelles de classes sociales, inégalité des cultures, etc. Ce qui domine les chapitres suivants, c'est l'exposé minutieux de l'impuissance où se trouvent les maîtres actuels de la politique internationale de prévoir avec quelque approximation les conséquences d'une troisième guerre mondiale, laquelle ne pourrait être que thermonucléaire. En 1939, on savait très exactement à Berlin de quel potentiel de guerre disposaient la Pologne, l'Union soviétique, la France, en fait de divisions blindées, de batteries d'artillerie, d'escadrilles d'avions; la campagne de Pologne était gagnée d'avance. Aujourd'hui, l'incertitude la plus profonde règne, non seulement sur la quantité de matériel thermonucléaire accumulé dans de mystérieux arsenaux, mais sur l'efficacité destructive des missiles les plus récents. On ne doute pas que l'effet des bombes qui ont anéanti Iroshima et Nagasaki ne soit largement dépassé, mais dans quelle mesure ? De cette incertitude résulte l'orientation actuelle des puissances pourvues de la puissance atomique à pratiquer la politique de la dissuasion. On voudrait convaincre l'adversaire éventuel qu'il a lui-même tout à perdre en risquant l'aventure d'une agression sans préavis. Mais l'effet de cette procédure purement psychologique demeure luimême problématique : le danger sera toujours possible que l'énervement engendré par une incertitude, à la longue intolérable, n'aboutisse à un risque-tout désespéré, si même un accident purement matériel, tel celui qui a entraîné récemment la perte du sous-marin Thresher, ne ·déclenche une réactiqn en chaîne échappant à tout contrôle humain. Comme le 23 février 1848, boulevard des Capucines, à Paris, tels les fusils, les missiles nucléaires de 196... pourraient bien « partir tout seuls ».Bref, l' « impossibilité du calcul rigoureux » contraint les Grands, ceux de Washington et de Moscou, à observer une expectative trop inquiète pour n'être pas grosse de périls.

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