Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

QUELQUES LIVRES la suspension de la guerre pour une période plus ou moins longue, mais demeure en permanence une guerre larvée. « Le progrès conjoint des techniques de production et de destruction introduit un principe de paix, différent de la puissance, que l'usage a déjà baptisé : la paix de terreur, qu'on pourrait appeler aussi paix d'impuissance » (pp. 165-66), ou « paix belliqueuse », « guerre froide». Et R. Aron de conclure : « La paix de terreur suspend sur les masses humaines une menace globale et monstrueuse. (...) La menace thermonucléaire réduit les hommes à une sorte de passivité collective» (p. 179). De quoi demain sera-t-il fait ? Peut-être la suite du livre permettra-t-elle de pressentir la réponse. Cette suite n'est autre que l'étude proprement sociologique des facteurs de paix et de guerre exposés dans la deuxième partie : « Sociologie. Déterminants et régularités ». L'espace, d'abord, c'est-à-dire le milieu géographique. Le nomadisme ayant à peu près disparu du monde contemporain, tout Etat est fixé sur un sol dont il dispose souverainement, pouvant à son gré en interdire l'accès aux immigrants ou aux voyageurs étrangers. Ce facteur a toutefois perdu une partie de son importance. « Le progrès de la technique entraîne, par lui-même, une certaine libération de l'humanité, une réduction de la contrainte du milieu» (pp. 208-209). Grâce à la facilité croissante des échanges, le nombre des hommes capables de vivre sur un espace donné peut être très sensiblement accru, ainsi qu'en témoigne aujourd'hui l'exemple éclatant du Japon. On peut même dire que la rapidité actuelle des transports a modifié le « sens de l'espace » dans la conscience de l'homme moderne : Tokyo n'est plus à 6.000 kilomètres, mais à douze heures de vol de Paris. « Etats-Unis et Union soviétique (...), étant donné la vitesse des bombardiers stratégiques ou des engins balistiques, sont tout proches l'un de l'autre et ont pour ainsi dire au Grand-Nord une frontière commune » (p. 213). Le facteur nombre, c'est-à-dire la population, a joué dans l'histoire un rôle singulièrement variable. En général, les cités antiques redoutaient par-dessus tout la surpopulation à laquelle on remédiait par le massacre des enfants débiles et par la colonisation de territoires lointains. La tendance des Etats modernes est au contraire en faveur des « gros bataillons » que permet de recruter une population nombreuse. Les guerres modernes ont certainement contribué à modérer l'accroissement de la population, mais il ne convient pas d'en conclure qu'elles aient été recherchées formellement en vue de cette fin; en fait, l'Europe n'a jamais souffert d'excédents de population, parfois même tout au contraire. D'une manière ~énérale, l'accroissement des ressources a touJours earé au risque de sous-alimentation. En sera-t-il de même demain, à l'âge atomique, alors que la population des pays dits sous-développés Biblioteca Gino Bianco 183 augmente, grâce aux progrès de l'hygiène, dans des proportions qui dépassent l'accroissement des ressources ? Sur ce point, R. Aron se tient sur une réserve prudente, trop prudente peut-être. Aux problèmes économiques est consacré un très important chapitre, intitulé à dessein «Des ressources » de préférence à «De l'économie». La raison de ce choix est que les hommes ne sont pas seulement consommateurs de richesses, mais sont eux-mêmes des formes de ressources, quand ils sont, par exemple, exploités comme esclaves ou comme soldats. L'auteur s'arrête longuement aux diverses doctrines : mercantilisme, libéralisme, économie nationale, socialisme, tour à tour proposées par les économistes, et montre comment chacune d'elles a une valeur relative en tant qu'expression de circonstances temporelles. Il condense d'ailleurs la conclusion de cette enquête en quelques lignes si pleines d'enseignement qu'il faut les reproduire : L'esclavage était rationnel au sens économique du terme, dès le jour où le rendement du travail servile laissait un surplus au maître, autrement dit où l'esclave produisait plus que ce dont il avait besoin pour vivre. La conquête était rationnelle, à la condition que le butin fût supérieur au coût de la bataille ou de la domination. L'empire était rationnel aussi longtemps que le commerce était par essence monopolitique, suivait le pavillon ou avait pour objectif la possession des métaux précieux dont le stock était limité. Cette rationalité, pour une économie considérée dans son ensemble, n'est plus évidente du jour où l'échange favorise les deux échangistes, où producteurs et commerçants ont tout intérêt à se soumettre à la concurrence (p. 278). Le chapitre «Narions et régimes » ne donne pas pleine satisfaction; non que la matière n'en soit fort abondante, mais le souci constant d'éviter les affirmations trop simplistes, de souligner la relativité des notions et aussi des situations laisse le lecteur sous une gênante impression d'indécision. Qu'est-ce, par exemple, que l'« intérêt national » ? De toute évidence la somme de tant d'intérêts publics ou privés concordants, mais aussi le compromis entre tant d'autres, discordants, qu'aucune définition n'en paraît possible. Qu'est-ce encore qu'un «caractère national»? Le Français, l'Anglais, !'Italien du xvne siècle sontils les mêmes que ceux du xxe ? Autre incertitude en ce qui concerne la « responsabilité » initiale d'une guerre. A l'origine de la guerre de 1914-18, R. Aron aperçoit moins la volonté agressive des états-majors que la rigidité des plans préétablis qui se développent mécaniquement dès que les pr~miers pions sont 1nis en avant ; ce qui nous paraît par trop minimiser les responsabilités des militaires de Vienne, pour ne rien dire de ceux de Berlin et de Saint-Pétersbourg. Les lignes suivantes, à la fin de ce chapitre, trahissent avec éclat la répugnance de l'auteur pour des positions catégoriques : La conclusion n'est pas qu'un type d'unité, ou d régime politique, un type d'organisation ou de régime

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