Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

182 L'ouvrage commence par une « Introduction » qui s'offre comme une sorte de Discours de la méthode. Il s'agit, en effet, de définir ces« relations internationales » qui sont la matière fondamentale de l'enquête. Matière infiniment complexe. En un sens, le touriste qui fait une croisière en Méditerranée, achetant à chaque escale des cartes postales illustrées, le Français qui préfère une Volkswagen à une Dauphine, l'étudiant qui complète sa formation dans une université étrangère, voire le fanatique de la télévision qui se passionne pour une épreuve sportive disputée sur un autre continent, participent, sans presque s'en douter, à cette vie internationale qui enveloppe aujourd'hui les hommes de tous pays d'un filet aux mailles inextricablement emmêlées. Tous ces bénéficiaires de l'industrie et du commerce mondiaux en jouissent en toute sécurité, convaincus que demain ressemblera à hier. Or, dans tous les pays civilisés modernes, il existe deux sortes d'agents dont la seule présence suffit à rappeler la réalité : le diplomate et le soldat. Le premier s'efforce sans doute de maintenir la paix, mais il la sait fragile ; le second, dans sa caserne, se sent en état de mobilisation permanente, appelé peut-être à franchir demain une proche frontière ou à la survoler. D'où cette définition lumineuse des relations internationales : «Relations entre unités politiques dont chacune revendique le droit de se faire justice elle-même et d'être seule maîtresse de la décision de combattre ou de ne pas combattre » (p. 20). Et voici une précision qui met admirablement en relief le caractère dramatique de la situation actuelle : « En 1914, les hommes d'Etat avaient quelques jours pour prendre une décision. En 1960, ils n'auraient que quelques minutes »(p. 55). La guerre étant, en cas d'échec de la diplomatie, l'ultima ratio des rapports entre Etats souverains, il convient d'en donner à son tour une définition. R. Aron reprend celle de Clausewitz, bien connue et irréprochable : « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l' adversaire à exécuter notre volonté» (p. 33). Et Aron ne manque pas d'analyser les pages admirables dans lesquelles le stratège allemand explicite la ·complexité des facteurs qui peuvent contribuer au succès ou à l'échec de l'action entreprise : nombre d'hommes mis en ligne, qualité et abondance du matériel de combat, nature du terrain choisi. Sans oublier les éléments psychologiques et moraux : prestige et clairvoyance du chef, discipline des troupes, solidarité des non-combattants; sans exclure même le hasard que Clausewitz n'hésitait pas à reconnaître comme le « domaine » propre de la guerre. Mais avant même que le diplomate ne cède la place au stratège, il y a lieu de reconnaître les forces sous-jacentes au temps de paix. Que faut-il entendre au juste par « grande puissance» ? A cet égard encore, combien de facteurs divers à considérer, depuis le chiffre de la population, le potentiel économique, la solidité de l'appareil Bibl'iotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL administratif, jusqu'à la fermeté de la tradition diplomatique, l'emprise du pouvoir sur l'opinion publique ... A quoi il convient d'ajouter, de nos jours, l'influence psychologique du mystère à la fois excitant et paralysant qui entoure les effets probables de l'armement atomique et l'ampleur réelle de cet armement chez les deux «Grands». Entre unités politiques entretenant entre elles des relations régulières, ces relations peuvent s'intégrer dans des « systèmes » de coopération plus ou moins poussés; l'histoire en offre des exemples nombreux et très variés dont l'étude ne peut manquer d'être instructive. Il est assez surprenant que R. Aron examine d'abord les systèmes qui sont à vrai dire les plus vastes, mais non les plus anciens : Société des Nations ~ (S.D.N.) et Organisation des Nations unies (O.N.U.). La première, tout en rendant de précieux services à la coopération internationale dans les domaines culturel et humanitaire, a échoué sur le plan politique, principalement parce que certains Etats (Italie, Japon), non satisfaits par la distribution des territoires établie par les traités de 1919, ont voulu modifier cet ordre par la force, tandis que les autres n'avaient pas les moyens, ni même peut-être la volonté, de maintenir cet ordre à tout prix. L'O.N.U., paralysée par la ,,- persistance du problème de l'Allemagne divisée et de la Chine communiste, enfin par l'afflux d'une foule de petits Etats sans autorité, voire presque sans culture, n'est guère qu'une tribune sonore, où il est utile d'ailleurs que les aspirations discordantes du monde actuel puissent se faire entendre en toute liberté. L'échec de ces grandes institutions ne peut que mettre en relief l'intérêt durable des autres systèmes de coopération entre Etats : multipolaires (concert européen, vers 1850 ; alliances de la « Belle Epoque » ; Triplice et Entente cordiale avant 1914) ; bipolaires, dont le type achevé est le dualisme actuel des Etats-Unis et de l'Union soviétique, que - on vient de s'en rendre compte à Cuba. - certaines conjonctures impérieuses ·contraignent à pratiquer une sorte imprévue de collaboration. Surmontant l'histoire, sans jamais la perdre de vue, R. Aron aborde ensuite la « typologie de la guerre et de la paix». On ne peut, à regret, que relever quelques points saillants de ce chapitre admirable. L'auteur distingue plusieurs types de paix : paix d'équilibre, paix d'hégémonie, paix d'empire. Quant à la typologie de la guerre, on distingue couramment des guerres féodales, dynastiques, coloniales,nationales. Hitler a entraîné le peuple allemand à l'entreprise d'une guerre raciale; les fanatiques du marxisme-léninisme n'hésiteraient pas à déclencher une « lutte finale » pour imposer au monde entier un régime dit socialiste. Or l'accélération intensive qui caractérise la civilisation actuelle amène à reconnaître la réalité toute nouvelle d'une paix qui n'est plus

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