QUELQUES LIVRES Un grand livre sur la guerre et la paix QUAND on entreprend l'étude d'un ouvrage aussi considérable que celui de Raymond Aron : Paix et Guerre entre les nations 1, on est tenté d'en découper d'abord les dernières pages dans l'espoir d'y trouver un itinéraire propre à faciliter l'exploration de cet immense territoire. Précaution utile, en effet : une table des matières point trop étendue offre un aperçu très clair du cadre de l'ouvrage et les deux index permettent déjà d'entrevoir quelques détails du tableau. Avouerons-nous que la lecture de l'index des auteurs cités nous a causé quelque surprise, presque une déception ? Nous y lisons, comme nous nous y attendions, les noms de Hobbes, Clausewitz, Treitschke, Letourneau, mais beaucoup manquent dont la mention nous semblait s'imposer dans une étude générale de l'éternel problème de la guerre : Joseph de Maistre 2 , Carlyle 3, Lagorgette 4, Jean de Bloch 5, Charles Richet 6, Eugène d'Eichthal 7 , Alain 8 , etc. ; et surtout aucune référence n'est faite à l'œuvre magistrale de M. R. Davie 9 , ni d'aucun des écrivains - J. Lubbock, J. Tylor, Jaehn et tant d'autres- qui se sont attachés à l'étude de la guerre dans les sociétés primitives. Ces omissions, qui ne sont certainement pas des oublis, éclairent déjà sur le dessein de l'auteur. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de couper les premières pages pour entrevoir celui-ci : la brillante « jaquette » qui protège Paix et Guerre 1. Un volume in-8, 793 pp., Paris 1962, Calmann-Lévy. 2. Soirées de Saint-Pétersbourg, 2 vol., 1821. 3. Sartor resartus, 1836. 4. Le R/Jle de la guerre. Etude sociologique, 1907. S· La Guerre aux points de vue technique, économique et politique, 6 vol., traduit du russe, Paris 1898-1900. 6. Le Passé de la guerre et l'avenir de la paix, 1907. 7. Guerre et Paix internationales, 1909. 8. Mars ou la guerre jugü, 1921. 9. La Guerre dam les sociétés primitives; son r8/e et son évolution, trad. fr., 1931. Biblioteca Gino Bianco entre les nations révèle dès l'abord au lecteur le souci dont R. Aron se déclare «obsédé» : Une seule bombe thermonucléaire possède une force explosive supérieure à celle de toutes les bombes déversées sur l'Allemagne durant la dernière guerre, voire supérieure au total de la force explosive utilisée par les hommes au cours de toute l'histoire. (...) L'hmnanité peut-elle poursuivre son aventure si elle continue de vivre dispersée en Etats souverains qui se définissent eux-mêmes par référence à l'éventualité de la guerre ? On comprend dès lors que cette « obsession» d'une pressante actualité amène l'auteur à négliger les aspects des menues batailles que se sont très probablement livrées les clans et les tribus de la plus lointaine préhistoire. Les très rares populations vraiment primitives, telles celles qu'a observées Claude Lévy-Strauss dans la forêt brésilienne, peuvent bien se battre encore à coups de bâtons ou de pierres, ces curieuses survivances ne nous servent de rien pour comprendre le caractère de la guerre telle qu'elle est toujours possible entre civilisés. Seule, conclut le texte de la jaquette, l'observation de la réalité la plus actuelle permettra d'évaluer les chances que peut encore avoir l'humanité d'éviter le suicide intégral, si les sages réussissent à la convaincre qu'à l'âge thermonucléaire « seule est raisonnable, donc réaliste, une politique de paix ». Coupons maintenant, mais cette fois dans le sens normal, les quelque 800 pages de l'ouvrage de R. Aron. Un peu écrasé peut-être dès l'entrée par les proportions de cet énorme édifice, le lecteur sera vite rassuré par la simplicité du plan et, sauf de rares pages d'une rédaction quelque peu hâtive, par la clarté de l'exposé. Il ne pourra que s'émerveiller de la richesse, de la précision de l'information : observateur attentif au concret, R. Aron a toujours au bout de sa plume infatigable quelque fait historique, quelque statistique; il domine de haut et manie avec aisance les innombrables fiches de sa documentation ; il enseigne autant qu'il invite à penser.
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