Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

A. V. BABITCH La Pravda du 30 novembre 1962, dans un article intitulé : cc Pas d'indulgence, des peines sévères ! », cite plusieurs cas de secrétaires de comités du Parti prenant la défense de communistes coupables et empêchant les instances judiciaires de les arrêter. Le journal brandit les statuts du Parti: « Si un communiste commet un crime passible de sanctions pénales, il sera exclu du Parti et poursuivi. » Or la bureaucratie du Parti utilise cet article, non pour poursuivre, mais pour défendre les communistes incriminés, elle l'interprète à sa façon : tant qu'un communiste coupable est porteur de la carte du Parti, il ne peut être poursuivi. On a vu des secrétaires du comité de district « adresser au procureur une lettre l'invitant à relaxer des filous arrêtés sous prétexte qu'ils étaient communistes». Bref, certains communistes considèrent « l'appartenance au Parti comme une sorte de sauf-conduit». * )f- )ILES RÉVÉLATIONS de la presse sur la corruption morale des dirigeants du Parti, de l'Etat et de l'économie, et l'augmentation de la criminalité parmi eux attestent que les méthodes employées jusqu'à présent pour maintenir la discipline du Parti n'ont pas donné les résultats escomptés. C'est pourquoi Khrouchtchev a entrepris de réorganiser le système de contrôle du Parti et des soviets. Au Comité central de novembre 1962, il a rappelé l'intransigeance réclamée par Lénine à l'égard des communistes criminels et fustigé les organes du Parti qui ne les dénoncent pas. Khrouchtchev a dû exhumer une lettre de Lénine du 18 mars 1922, jusqu'alors inédite, où celui-ci réclamait la cc pendaison »pour les communistes coupables, l'exclusion du Parti à la moindre tentative d' « influencer » les tribunaux en vue d' « atténuer » leur responsabilité ; les communistes devaient être jugés plus sévèrement que les sans-parti. «En cas de faiblesse, les juges du peuple( ...) seront passibles de renvoi» (Pravda, 20 nov. 1962). Dans ces directives vieilles de quarante ans, Khrouchtchev cherche une règle de conduite. Il veut réorganiser le contrôle du Parti et de l'Etat sur le modèle léniniste. Il réprouve le système stalinien où les appareils étaient contrôlés par d'autres appareils, les «masses» étant tenues à l'écart: Pour créer un système harmonieux de surveillance du haut en bas, il faut appliquer l'idée léniniste de fusion de la surveillance du Parti et de l'Etat, de création d'une surveillance unique, embrassant tout et s'exerçant en permanence avec la participation des larges masses de travailleurs. (...) Créer un centre de surveillance unique, le Comité de contrôle du Parti et de l'Etat disposant d'organes locaux, (...) qui non seulement vérifient et punissent, mais, surtout, préviennent les abus, éduquent les cadres, les détournent des erreurs dans le travail et les incitent à appliquer les directives du Parti et du gouvernement (ibid.). j.H Pour Khrouchtchev,les organesde surveillance 1 doivent aider le Parti à perfectionnerl'appareil Biblioteca Gino Bianco 173 d'administration et de gestion, à le simplifier, à le rendre moins coûteux, à l'aider à secouer les lenteurs administratives. Il faut « soulever l'opinion contre les bureaucrates, contre ceux qui abusent de leurs fonctions ». Les organes de surveillance doivent disposer d'inspecteurs qualifiés, chargés d'instruire les affaires de concussion, de pillage et de spéculation. Dans les Républiques, territoires et régions, il faut créer des filiales du comité principal de Moscou : C'est seulement avec l'aide active des ouvriers, des kolkhoziens, de l'intelligentsia et des organisations sociales que nous pourrons obturer hermétiquement tous les passages et fentes par lesquels se glissent les filous, concussionnaires, parasites, bureaucrates, tous ceux qui allongent la main vers les biens de l'Etat (ibid.). Le Comité central a pleinement approuvé les propositions de Khrouchtchev et a décidé de « créer un organe unique de surveillance, le Comité de contrôle du Parti et de l'Etat auprès du C.C. du P.C. de l'Union soviétique et du Conseil des ministres de !'U.R.S.S., ainsi que des organes locaux correspondants» (Pravda, 24 nov. 1962). A. N. Chélépine, secrétaire du C.C. du P.C. de !'U.R.S.S., a été nommé président de ce nouveau comité en même temps que vice-président du Conseil des ministres de !'U.R.S.S. Cette nomination n'est pas le fait du hasard : récemment encore, Chélépine était à la tête de la Sécurité d'Etat, là où aboutissent tous les dossiers concernant la vie des dirigeants. Chélépine connaît mieux que personne l'activité de chacun et il est particulièrement qualifié pour découvrir les actes criminels des dirigeants et « recommander » des mesures afin d'y mettre un terme. Dans son éditorial du 28 novembre 1962, consacré à la création du nouvel organisme, la Pravda estime que les conséquences du culte de la personnalité avaient freiné la mise au point du contrôle, en particulier pour ce qui touche à la participation des masses. Or le point faible demeure précisément la coupure d'avec les masses. Dans son rapport au Comité central, Khrouchtchev soulignait qu'à l'heure actuelle « le rôle et l'importance du Parti dans le système de notre Etat augmentent encore », autrement dit le rôle de l'appareil du Parti. Ce qui implique que les masses auront moins que jamais voix au chapitre, l'appareil du Parti étant parfaitement indépendant du peuple. L'appareil exige du peuple qu'il lui dénonce les défauts et les crimes, tout en lui refusant le droit de punir les coupables. Le peuple, lui, ne veut pas se contenter de servir d'auxiliaire, privé de droits, à la bureaucratie. C'est pourquoi le nouveau système de surveillance demeurera une institution purement bureaucratique, coupée des masses, donc impuissante à lutter contre les crimes de la couche dirigeante. ANDRÉ V. BABITCH. ( Traduit du russe)

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