170 de Lettonie, dans certaines villes de la R.S.F.S.R., de l'Ukraine, du Kazakhstan et d'autres Républiques 10 • Officiellement, pour donner un aliment à l'imagination populaire, l'essentiel du blâme a été jeté sur les apparatchiki locaux du Parti et de l'Etat et sur les travailleurs des organisations publiques. Ces derniers, prétend-on, ont cessé de s'intéresser aux droujiny et vont parfois jusqu'à se rejeter mutuellement les responsabilités 11 • Ce qui revient à dire qu'aux yeux des autorités locales le mouvement ne justifiait pas son existence. D'autre part, on a reproché à la milice et aux autorités judiciaires leur mauvaise volonté à collaborer avec les droujiny, et aux tribunaux de camarades leur mansuétude à l'égard de délinquants déférés devant eux par les groupes de volontaires : Les volontaires du peuple devraient être soutenus de manière plus active par la milice, le procureur et les tribunaux. (...) Aussi étrange que cela puisse paraître, certains miliciens font preuve d'un molesse surprenante envers ceux qui enfreignent les lois et troublent l'ordre public. (...) Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, s'il n'y a aucun délit dans l'arrondissement, le poste de milice est censé bien faire son travail. « A quoi bon, se demandent les fonctionnaires de la milice, ouvrir un dossier ? Nul n'ignore que, si les paroles s'envolent, les écrits restent. » Voilà pourquoi le voyou s'en tire 12 • LES CAUSEvSéritables de l'échec sont naturellement beaucoup plus profondes. Nous l'avons vu, les aspects positifs de l'activité des droujiny ont été trop souvent contrebalancés par des abus de pouvoir. Ces excès engendrèrent fatalement l'hostilité des citoyens honnêtes, et cette hostilité se traduisit à son tour par des difficultés de recrutement. C'est le cas même à Moscou, où l'on était en droit d'attendre une activité exemplaire : « Les fonctionnaires de la milice reprochent aux droujinniki de ne pas accomplir honnêtement leur devoir. D'aucuns sont un peu gênés de porter le brassard rouge et l'insigne. Un tel retire ses attributs dès qu'il entre dans le parc [Krasnopressenski]. S'il veut monter sur la piste de danse, il les conservera, car le portier n'arrêtera personne portant brassard; mais il les retirera ensuite - les choses étant plus faciles de la sorte 13 • )) L'attrait des droujiny s'est, dès l'origine, heurté à un autre obstacle majeur. Dans sa dernière phrase, le décret de mars 1959 stipulait que « les droujinniki rempliraient leurs obligations en dehors des heures de travail)>.Comme, de plus, les volontaires ne devaient toucher aucune rémunération pour leurs services, cette clause condamnait 10. La Vie du Parti, 1962, n° 5. 11. Izvestia, 24 fév. 1960 ; la Vie du Parti, 1960, n° 21, p. 18 ; Komsomolskaïa Pravda, 22 août 196r. 12. Korn. Prav., 15 août 1961. · 13. Ibid., 28 juin 1961. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE pratiquement le mouvement, passé la première vague d'enthousiasme, à une anémie chronique : Alors qu'auparavant, servir dans une droujina était considéré comme un honneur, aujourd'hui il faut parfois presque user de contrainte. Le service est maintenant assuré par des ouvriers ; on voit rarement un directeur, un contremaître, (...) le secrétaire de l'organisation du Parti ou un ingénieur 14 • Le mouvement des « volontaires du peuple » est ainsi devenu rien moins que volontaire. Le service de la droujina a fini, par la force des choses, à être tenu par l'homme de la rue comme un nouveau fardeau non rétribué imposé par l'Etat, comme un nouvel empiétement sur ses loisirs ; il est naturel qu'on cherche à s'y soustraire, ce qui a pour résultat que le service est imposé à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent y échapper. Comme tant de campagnes lancées par les maires de Nigaudville, le mouvement des droujiny recelait les germes de sa propre ruine. L'armature institutionnelle imaginée en 1959 manquait de réalisme à bien des égards et la mise en pratique s'est traduite par bon nombre d'épreuves pour maint citoyen soviétique. N'ayant jamais été efficace et populaire, le mouvement pouvait difficilement donner des résultats durables dans la lutte contre la criminalité. En effet, dans l'article cité plus haut, N. Mironov déplorait le net accroissement du nombre des peines de prison infligées ces temps derniers; que Khrouchtchev ait abordé la question de la criminalité dans son discours au 14e congrès du Komsomol, en avril I 962, confirme que la situation inquiète beaucoup les dirigeants. Reste à savoir comment les autorités vont maintenant s'y prendre pour résoudre ce vieux problème. En dépit de leurs imperfections, rien jusqu'à présent ne laisse présager que les droujiny seront réformées ou remplacées par une force mieux tenue en main et plus efficace.Au contraire, les groupes de volontaires ont reçu depuis peu de nouvelles garanties légales dans l'exercice de leurs activités, les mettant sur un pied d'égalité avec la milice; autrement dit, le régime n'est pas prêt · à reconnaître qu'il est inopportun de conférer des pouvoirs de répression à des groupes inexpérimentés et manquant de discipline. Certes, dans son discours au congrès du Komsomol, Khrouchtchev a semblé accorder bien plus d'attention à la milice qu'aux droujiny, laissant entendre que la situation de celle-là pourrait s'améliorer aux dépens des volontaires du peuple. Mais de là à prétendre que la population pousse dès à présent un soupir de soulagement ... , A. MORRIS. ( Traduit de l'anglais) 14. Pravda d'Ukraine, 5 oct. 1961.
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