Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

LA « LIBÉRALISATION » DU RÉGIME SOVIÉTIQQE par Robert Conquest LE RÉGIME st~linien fut si terrible que tout ce qui est moins mauvais paraît être, est effectivement, une grande amélioration. Mais à juger la Russie khrouchtchévienne suivant les normes en vigueur avant l'avènement de Hitler et de Staline, c'est une dictature d'une oppression révoltante. Même aujourd'hui, en faisant abstraction des justifications politiques et des attachements sentimentaux, il faut bien admettre qu'elle est beaucoup plus tyrannique que les dictatures de Salazar, de Franco ou de Tito - bien que, sans même parler de la Chine, il existe en Europe orientale plusieurs régimes encore moins libéraux. On peut cependant prétendre - et la propagande du Kremlin ne s'en prive pas, ou du moins le suggère - que ce qui compte, c'est le sens dans lequel un régime évolue : aller du pis au mal, cela peut être un pas vers le bien. Journalistes et visiteurs occidentaux, surtout quand ils ont quelque expérience antérieure du pays, s'empressent d'attirer l'attention sur les améliorations. La nouvelle image de !'U.R.S.S. est la résultante de ces témoignages, insuffisamment reliés au fond du tableau et corsés par le ton dynamique des discours et « plans » de Khrouchtchev. La « libéralisation » est avant tout une plus grande liberté d'expression. Examinons les éléments qui ont contribué à donner sa couleur à ce coin du tableau. Depuis quelque temps, la presse soviétique a publié différentes choses qui ont donné l'impression d'une plus grande liberté. Citons quelques exemples. La revue athéiste officielle Science et Religion reproduit, en mars 1962, une longue lettre de critique d'un agnostique. L'académicien Mikhaïl Strogovitch, expert des questions juridiques, reproche dans les colonnes du Kommounist (sept.-oct. 1961) au nouveau programme du Parti d'être « vague au sujet de la liberté individuelle ». Des controverses animées Biblioteca Gino Bianco se déroulent sur l'architecture soviétique : Moskva, dans son nun1éro de mars 1962, s'en prend à la politique du comité exécutif de Moscou (bien qu'une violente contre-attaque de la Pravda du 10 mai semble y avoir mis un terme). Igor Tamm, prix Nobel de physique, dénonce dans les Izvestia (3 janv. 1962) les effets pernicieux de la politique, fondée sur l'idéologie, qui tend à imposer aux étudiants un « travail productif» à mi-temps. Chostakovitch se plaint de la tyrannie qui pèse sur les professeurs de musique du Conservatoire de Moscou (Musique soviétique, 1962, n° 6). Les Izvestia (9 fév. et 25 mai 1962) et la Justice soviétique (avril 1962) publient des attaques contre une école de jurisprudence « réactionnaire ». La Litératournaïa Gazieta (24 fév. I 962) déplore le tort causé à la science soviétique par le dogmatisme et montre du doigt un petit cercle de biologistes qui, << jusqu'à ce jour », s'oppJsent au progrès. Un article du phUosophe anglais A. J. Ayer peut paraître dans Questions de philosophie ( 1962, n° 6)-bien que la rédaction soit ensuite sévèrement admonestée par le Kommounist (1962, n° 8) et obligée de s'excuser de ne pas avoir infligé à Ayer le « blâme mérité ». A l'occasion, il y a mieux. Telle la sensation causée dans le monde non communiste par la récente controverse au sujet d'une cure miraculeuse du cancer publiée dans la Pravda du 1er août 1962. L'affaire était remarquable, en ce que le Comité central reconnaissait explicitement que ce sont les médecins et non le Parti qui doivent décider du traitement d'une maladie. C'était là en principe une retraite par rapport au stalinisme, bien qu'en pratique la médecine comme telle n'ait jamais été un problème de gouvernement. La biologie l'a certes été et l'est encore ; quand le Parti désavouera le soutien officiel qu'il accorde au lyssenkisme, alors on pourra parler de détente véritable.

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