Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

162 Ces symptômes sporadiques de « libéralisme » ùe sont pas les seuls. Des attaques contre la période du culte de la personnalité paraissent aujourd'hui dans la littérature proprement dite. Elles s'accordent, en gros, avec la politique de Khrouchtchev tendant à noircir publiquement le passé stalinien. Des récits comme « Quiétude » de Iouri Bondarev (Novy Mir, 1962, n° 5), le poème de Tvardovski contre Staline, et même les mémoires d'Ilya Ehrenbourg (qui paraissent également dans Novy Mir), peuvent témoigner, jusqu'à . un certa~ point, dans ce sens.. ~hrenbourg, il est vrai, dépasse un peu la position orthodoxe de Khrouchtchev ; en particulier, dans la deuxième tranche de ses souvenirs, il vante le point de vue de Lounatcharski, selon lequel « nous devons laisser se développer dans l'art toutes les personnes et tous les groupes ». Le Kommounist (1962, n° 10). a d'ailleurs riposté par une puissante offensive contre Lounatcharski et ce genre d'idées. LA TOLÉRANCE relative en matière culturelle a certainement été accordée pour des raisons de tactique intérieure. En même temps, elle a eu un effet particulièrement puissant sur l'idée que l'on se fait de !'U.R.S.S. à l'étranger, encore renforcée par les visites en Occident de Evtouchenko et de ses semblables. Le jeune poète et lès écrivains de son bord sont, chez eux, engagés dans une lutte incessante contre les éléments obscurantistes encore puissants et qui peuvent à tout moment refaire la loi. En dénonçant les abus en Russie, comme Evtouchenko dans son poème « Babi Iar », les jeunes écrivains font preuve d'un beau courage. A l'étranger, ils ne peuvent manquer d'être prudents en taisant tout ce qui peut être tant soit peu hostile à un ordre établi qu'ils critiquent si franchement chez eux. Agir autrement, ce serait prêter le flanc à une contre-attaque dès leur retour. En plus de ce calcul élémentaire, certains d'entre eux doivent assurément éprouver une fidélité générale envers l'abstraction politique qu'est l'Union soviétique et envers un communisme idéal ne ressemblant en rien à ce qui existe, mais qui l'emporte dans leur esprit sur la réalité. Ce phénomène bien naturel est le ressort commun à tous les patrio. tismes. Kipling n'a-t-il pas écrit dans cette veine : Si l'Angleterre était ce qu'elle paraît, Et non pas l'Angleterre de nos rêves, Mais rien que mastic, laiton et peinture, Comme nous la laisserions tomber ! Mais elle n'est [pas cela. Pour toutes ces raisons, le tableau de l'Union soviétique peint par Evtouchenko dans !'Observer de Londres (27 mai 1962) ou dans ses interviews à l'étranger est beauco?p plus favorable,9u; c~lui qui se dégage de ses poemes. Non pas qu ils agisse simplement d'un froid calcul : Evtouchenko Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE paraît honnête, et quand il brosse à l' é~anger un tableau différent, c'est là une adaptatton _de ton si naturelle qu'elle est sans .doute à fetne consciente. D'autre part, en le laissan~ ~orttr, .~t surtout publier ses poèmes., les autor1tes sov1etiques font preuve de tolérance. Malgré ce que l'on peut retenir en faveur de Evtouchenko., ce dernier n'est nullement représentatif - non plus qu'aucun écrivain de l'~st - d'un principe général de liberté. Son en~ous1asme pour le régime de Fidel Castro., senttment en vogue chez les jeunes Moscovites, est peut-être une tentative de retour au dynamisme révolutionnaire, mais non une démonstration en faveur de la liberté civile. Après tout, son poème sur les manifestations anticommunistes de juillet dernier à Helsinki pendant 1~ festival !11.ondialde la _jeunesse s'abaisse au niveau stalinien (les manifestants sont des « fascistes » et « mâchent du chewinggum »). D'un autre côté, P?Urquoi attendre. ~'un poète relativement humaruste et non politique comme Evtouchenko qu'il s'engage dans des domaines qui ne l'intéressent pas ? Un progrès réel ~t digne d'attention, dans ~ autre domaine est le commencement d une discussion réaliste des problèmes économiques. Le recensement, la publication de chiffres absol~s de production et autres mesures analogues ont pris un bon départ. Certes, une estimation des taux de salaires n'est pas encore publiée en U.R.S.S. Néanmoins, un article du Bulletin de l'Académie des sciences (1962, n° 1) a donné une étude g~D:é: ralement réaliste sur le retard de la produet1v1te soviétique par rapport à celle des Etats-Unis. Pareilles révélations sont, il est vrai, réservées d'habitude aux revues spécialisées à tirage limité, et leur publication dépend dans une large mesure de la ligne politique du moment. Même avec ces restrictions, l'amélioration est notable. Pourtant, là encore, publier des statistiques exactes n'est pas en soi un acte de libéralisme positif : c'est tout. à fait compatible avec la tyrannie, surtout édulcorée comme elle l'est aujourd'hui. Cet ensemble de phénomènes nouveaux suggère néanmoins .l'idée d'un progrès, d'une _cr~issance du libéralisme en U.R.S.S. Quelle signification leur donner ? La première impression est certes favorable, mais jusqu'à quel point le changement réel est-il substantiel ? OR, tout d'abord, les controverses étaient par- · fois admises même du temps de Staline (par exemple, la longue dispute entre Voznessenski et Varga en 1948-49) *. Ensuite, pour une part, le nouveau 'franc-parler semble refléter la décision du régime d'opérer certains changements (par exemple, dans l'enseignement scientifique au- * Cf. notre Power and Policy in the USSR, Londres (Macmillan) et New York (St. Martin's Prèss), 1961, pp. 83-91,

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