152 . plus recherché de l'« opium des intellectuels»), les doctrinaires de l'« industrialisation socialiste » ressemblent étonnamment aux « économistes fatalistes» auxquels Marx a consacré une des plus belles pages de Misère de la philosophie (Ed. sociales, 1947, pp. 98-99). Ceux-ci, disait Marx, « sont aussi indifférents à ce qu'ils appellent les inconvénients de la production bourgeoise que les bourgeois eux-mêmes le sont dans la pratique aux souffrances des prolétaires qui les aident à acquérir des richesses ». Les idéologues du « socialisme » et les bureaucrates totalitaires ne furent pas moins insensibles que leurs prédécesseurs bourgeois : pour eux aussi « la misère n'est que la douleur qui accompagne tout enfantement, dans la nature aussi bien que dans l'industrie ». Lorsqu'ils ne peuvent pas supporter les rigueurs de cette « école fataliste », ils se réclament de l' « école humanitaire » dont « toute la théorie », dit Marx, «repose sur des distinctions interminables entre la théorie et la pratique, entre les principes et les résultats, entre l'idée et l'application, entre le contenu et la forme, entre l'essence et la réalité, entre le droit et le fait, entre le bon et le mauvais côté». Dans tous les cas, ils se mettent à l'unisson pour chanter les louanges d'un système qui a permis un« développement prodigie~ des forces pro~uctive~ )> illustré par des statisnques plus ou moms vraies ou fausses. Marx aussi avait remarqué dans Misère de la philosophie (p. 80) que la productivité de l'industrie anglaise avait augmenté de 2. 700 % BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL entre 1770 et 1840. Il n'a jamais m~qué ~e célébrer les « miracles » de la bourgeoisie. Mais s'il s'est acharné à démontrer le caractère « historiquement nécessaire » de l'exploitation capitaliste, il n'a jamais confondu nécessité _et v~rtu, ni présenté les workhouses comme un bienfait de l'humanité. Que dirait-il des institutions « les plus démocratiques du monde » ? « Tantœ molis erat ! Voilà de quel prix nous avons payé nos conquêtes», s'écriait Marx à la fin de ses considérations sur l'accumulation primitive et la « genèse du capitalisme industriel » (C. III, 201). A la même page, coup de griffe féroce à Èdmond Burke qui avait osé dire que «les lois du commerce sont les lois de la nature, et conséquemment de Dieu ». «A une •époque comme la nôtre, écrit Marx, où la lâcheté des caractères s'unit à la foi la plus ardente dans les " lois du commerce ", c'est un devoir de stigmatiser sans relâche des gens tels que Burke. » Il ne pouvait prévoir quelle littérature paradisiaque produirait de nos jours l'union de la« lâcheté des caractères» et de la foi la plus ardente dans les« lois de l'industrialisation socialiste ». Faut-il ajouter qu'entre les « lois » que l' «exécrable, hypocrite politique » attribuait, en 1800, à «Dieu » et à la «nature », et celles que les totalitaires contemporains prêtèrent au «marxisme orthodoxe », il y a régression plutôt que progrès ? KOSTAS PAPAIOANNOU. • , I
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