K. PAPAIOANNOU « forcer les présidents des kolkhozes à leur remettre, gratuitement ou à bas prix, des biens, du bétail ou des produits appartenant aux kolkhozes » 27 • La corruption, les « fanfaronnades », les « promesses de tribune », la falsification des statistiques, enfin l'escroquerie pure et simple, en furent d'autres conséquences. On connaît désormais les arcanes du système ubuesque des « obligations socialistes ». Sous la pression des exigences exorbitantes du centre, la foule des bureaucrates qui peuplaient les échelons intermédiaires des régions et districts n'avait d'autres préoccupations que d'envoyer à Moscou d'imaginaires bulletins de victoire ; ensuite, on pressait les présidents des kolkhozes de s'acquitter, par tous les moyens (principalement par le truquage des statistiques et des fraudes extravagantes), des promesses faites en leur nom sans considération aucune pour les possibilités réelles de leurs administrés. Cela étant, il n'en est pas moins vrai que c'est uniquement grâce à ces méthodes « féodalesmilitaires » d'exploitation que l'Etat put réaliser l'accumulation primitive du capital qui lui permit d'industrialiser le pays et d'assurer la domination de classe de la bureaucratie. L'instrument de l'accumulation primitive ICI aussi c'est l'« abstinence » forcée et l'asservissement des « producteurs directs » qui ont joué le premier rôle. Du point de vue de la technique financière, l'accumulation primitive du capital bureaucratique s'est effectuée, conformément au schéma de Préobrajenski, par le mécanisme des prix; plus précisément, par le moyen de l'impôt sur le chiffre d'affaires, le plus important du budget soviétique. Cependant, contrairement aux thèses de Préobrajenski, cette méthode ne frappa pas seulement les paysans, forcés de fournir le tiers de leur production soit gratuitement, soit à des prix de spoliation, mais aussi les ouvriers qui, obligés d'acheter les biens de consommation à des prix énormément gonflés par l'impôt sur le chiffre d'affaires, virent leurs salaires réels diminuer presque de moitié. Pendant les années de la collectivisation, l'impôt sur le chiffre d'affaires fournissait en moyenne les deux tiers de (65 % en 1932 à 85 % en 1936) des recettes budgétaires; or il provenait en majeure partie de la vente de biens de première nécessité. Ceux-ci étaient frappés plusieurs fois : le grain, lorsqu'il était livré au moulin, la farine, lorsqu'elle était livrée à la boulangerie, etc. Il en résulta une hausse vertigineuse des biens de consommation courante, qu'ils fussent rationnés ou vendus à des prix «commerciaux». En ce sens, la hausse du prix du pain rationné Çlequel était censé protéger le consommateur urbain - les paysans ne bénéficiaient pas du rationnement - contre la pénu27. Comment /'U.R.S.S. e1t gouvern,e, p. 4r2. Biblioteca Gino Bianco 151 rie) peut être considérée comme l'indice sociologique du nouveau rapport de domination et d'exploitation que la terreur totalitaire institua entre la bureaucratie et le prolétariat 28 • En 1931, la différence entre le prix d'achat des céréales et le prix de vente du pain rationné était encore faible, et le taux de l'impôt sur le chiffre d'affaires se situait autour de 8 % (B., p. 371). Par contre, en 1932, l'Etat « achetait » le kilo de seigle de 5 à 6 kopecks et vendait le kilo de pain de seigle rationné 12,5 kopecks. Celui-ci s'élève à 50 kopecks en 1934, tandis que le prix d'achat reste à peu près le même. La marge bénéficiaire entre le prix d'achat et le prix de vente allait s'élargissant et la différence était encaissée par le fisc grâce à l'augmentation correspondante du taux de l'impôt sur le chiffre d'affaires qui, entre février et août 1933, passa de 30 à 76 %- En 1937, 80 % du produit de l'impôt sur le chiffre d'affaires provenaient des biens de consommation (produits agricoles, industrie alimentaire, industrie légère, alcools) : près d'un tiers des revenus fournis par l'impôt sur le chiffre d'affaires et près d'un quart des revenus budgétaires étaient dus aux céréales extorquées par la violence. Les 76,8 milliards de roubles qu'avait rapportés cet impôt en 1937 représentaient environ 425 roubles par tête d'habitant, dont 130 roubles rien que pour le pain. Comme la population rurale se nourrissait presque exclusivement de ses propres céréales, la charge était surtout supportée par la population urbaine qui, de plus, était une minorité : «Plus faible est le revenu de l'individu, conclut Ch. Bettelheim (p. 174), plus forte est l'imposition.» En 1939, suivant les statistiques officielles, 52,6 % du produit de l'impôt sur le chiffre d'affaires furent obtenus par les ventes de viande, de produits laitiers, de denrées alimentaires et de produits textiles 29 : ces charges exorbitantes ne sont pas le seul indice du caractère de classe de cette forme particulièrement sauvage d'accumulation primitive ... Lorsqu'ils ne pratiquent pas l'anesthésie idéologique (qu'on doit considérer comme l'effet le 28. On sait que pendant les cinq ans de la période de rationnement (qui prit fin le 1er janv. 1935), le même produit était vendu à cinq prix différents, fortement croissants, suivant qu'il s'agissait: a. d'une fourniture« centralisée» (livraisons obligatoires, etc.), b. d'une «vente contractuelle)), ou c. d'un produit distribué contre tickets de rationnement, d. par les magasins «commerciaux» de l'Etat, ou e. acheté au marché libre (kolkhozien ou «noir»). En 1932, par exemple, un kilo de blé et un kilo de seigle coûtaient de 7 à 8 et de 5,2 à 5,8 kopecks lorsque le paysan les vendait à l'Etat. Aux pri.x du rationnement, la farine de blé et la farine de seigle coûtaient 19 et 14 kopecks le kilo. Pour compléter les maigres rations officielles, le consommateur urbain devait recourir aux magasins commerciaux de l'Etat, où il payait le kilo respectivement 450 et 280 kopecks. Son dernier recours était le marché kolkhozien, où les prix s'élevaient à 580-650 et 320-390 kopecks; prix exorbitants qui compensaient (aux dépens du consommateur urbain) lès prix spoliateurs de livraison obligatoires. Cf. B., p. 244. 29. Cf. A. Rothstein : Ma11 a11d Plan in 0· 1ict Eco11omy, 1948, p. 87. En 1949, les prix des produits de on omm tion de base étaient encore grevés d'un impôt d'au moins 100 % ; pour le sel, l'impôt s'élevait à 900-1 .ooo %...
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==