Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

150 L'abondante littérature que provoqua l'abolition récente du système des livraisons obligatoires et la liquidation des M.T.S. 25 a mis en lumière certains aspects particulièrement absurdes de ce système sauvage et anachronique. Faible productivité, gaspillage bureaucratique TouT n' ABORD, les « devoirs socialistes envers l'Etat » représentaient des charges si lourdes que, selon Khrouchtchev (Izvestia, 21 mars 1954), « les quantités de grain restant aux kolkhozes ne suffi.sentplus à couvrir les besoins de l' économie collective». En fait, les prix payés par l'Etat en échange de ces fournitures obligatoires étaient si bas qu'ils ne couvraient qu'« un pourcentage infime des prix de revient» (Izvestia, 15 sept. 1953). Il en fut ainsi même après qu'on eut doublé, triplé ou quintuplé ces prix en 1953-54; ce n'est que depuis 1956 qu'ils couvrent en général les frais de production. Considérer l'agriculture comme une matière fiscale qu'on peut à volonté pressurer en niant les exigences les plus élémentaires de la rentabilité, c'est là un trait permanent des despotismes bureaucratiques. C'est ce qui s'est produit à l'époque de Justinien où, selon le mot de Jean Lydus, « les collecteurs ne trouvaient plus d'argent à rapporter à l'empereur, parce qu'il n'y avait plus de gens pour payer l'impôt». C'est une situation analogue que décrit Khrouchtchev dans son rapport secret de février 1956 lorsqu'il parle de la décision qu'aurait prise Staline en 1953 de faire augmenter de 40 milliards de roubles les taxes payées par les kolkhozes et les kolkhoziens : Selon Staline, le paysannat était aisé et le travailleur kolkhozien n'aurait qu'à vendre un poulet de plus pour être en mesure de payer cet impôt. Imaginez ce que cela signifiait. Assurément, 40 milliards de roubles est une somme que les travailleurs des kolkhozes n'avaient pas réalisée pour tous les produits qu'ils avaient vendus au gouvernement. En 1952, par exemple, les kolkhozes avaient reçu 26.280 millions de roubles pour l'ensemble des produits qu'ils avaient livrés et vendus au gouvernement. (...) La proposition n'était fondée que sur les idées fantasques d'une personne qui n'avait aucun contact avec la réalité. Vraie ou fausse, cette anecdote prend valeur de symbole : comme dans tous les despotismes, la conception fiscale de l'économie ne peut qu'engendrer l'irréalisme et menace, à court ou à long terme, de tarir les sources mêmes de la richesse. Quoi qu'il en soit, un tel « degré d'exploitation» 25. On sait que, du temps de Staline, les M.T.S. étaient considérées comme des « bases intangibles du socialisme »; la proposition de vendre leur matériel aux kolkhozes fut répudiée comme une hérésie. Il est navrant de constater que nombre d' « experts » occidentaux du type d'Isaac Deutscher prirent au sérieux ces élucubrations sur le « socialisme ». Cf. Raymond Aron : Sociologie des sociétés industrielles (cours ronéotypé, 1959, p. 171). Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL (pour parler le langage marxiste, plus que jamais légitime) ne pouvait qu'avoir les effets les plus désastreux sur la productivité kolkhozienne. Ainsi le chef du gouvernement de la R.S.F.S.R. a révélé récemment que, sur le territoire de la République, le rendement moyen en blé était encore de 10,6 quintaux à l'hectare. Dans les terres vierges du nord du Kazakhstan, il n'est que de 8,4 quintaux, alors qu'on espérait 10,5 quintaux. En Biélorussie, sur 15 millions d'hectares, la moyenne est également de 8,4 quintaux. En U.R.S.S., où, selon l'annuaire statistique de 1959, 52 % de la population vivent encore à la campagne, le rendement à l'hectare est fort éloigné du chiffre de la production française (26 quintaux à l'hectare), avec sa population agricole constamment décroissante. Il est même inf érieur à celui des U.S.A., qui n'emploient dans l'agriculture que 7 % de leur population. La raison en est que, frustrés de leur produit, réduits à la portion congrue, livrés à une direction qui représente le régime plutôt que les paysans:- et qui jouit d'un mode de vie auquel ils ne peuvent aspirer, les kolkhoziens n'ont aucune« propension»· à intensifier leur effort productif. En serait-il autrement, le régime se charge périodiquement de les décourager en leur rappelant ... .. .l'erreur qui consiste à mettre au premier plan les tâches subsidiaires, étroites, utilitaires, des problèmes de confort pour les kolkhozes [Malenkov, 1952], l'erreur qui consiste à aborder les problèmes de l'agriculture collective dans un esprit de consommateur [Baguirov, 1951] 26 • Pareil système de pompage des campagnes exigeait de surcroît un énorme appareil de stockage et de contrôle dont le caractère parasitaire n'était un secret pour personne. <c Nous recevons peu, disait Khrouchtchev, et nous devons entretenir tout un personnel de stockeurs qui coûte cher » : comment ne pas penser à la bureaucratie des horrearii de Ténédos et de Constantinople ? Selon Questions d'économique (n° 4, 1957), les bureaux de ravitaillement, de stockage et de transports près les ministères économiques dépensèrent à eux seuls, en 1955, 16,6 milliards de roubles en frais administratifs, soit 17 % de l'ensemble des investissements budgétaires dans l'industrie. Khrouchtchev s'est vanté, dans la Pravda du 8 mai 1957, d'avoir réduit le personnel bureaucratique de 900.oo~ personnes au cours des trois années précédentes. Mais au début de 1961 il dénonçait à nouveau les énormes abus et pillages commis par la bureaucratie dans l'agriculture. Une résolution du Conseil des ministres datée du 19 septembre 1946 donne une idée des abus de pouvoir qui proliférèrent à l'ombre du système de la dîme totalitaire : des fonctionnaires locaux du· Parti et du gouvernement furent accusés de 26. Cf. Merle Fainsod: Comment /'U.R.S.S. est gouvernée, 1957, pp. 415 et 431.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==