K. PAPAIOANNOU société de classes, dans les «modes de production asiatiques », dans les régimes de « despotisme bureaucratique », où l'Etat est « le principal détenteur du surproduit » et où les « rapports de production » et d'exploitation sont « fondés sur des rapports immédiats de domination et d'asservissement » 16 • L'archaïsme de la «collectivisation» L'HOMOLOGIeEntre les conditions économiques (sous-développement de l'industrie citadine, atrophie des circuits monétaires, prépondérance de l'économie naturelle et de l'agriculture, source principale de la richesse et matière fiscale fondamentale) et les conditions politiques ( concentration de tous les pouvoirs aux mains de l'Etat centralisé, destruction de toute autonomie et de toute opposition institutionnalisée, bureaucratisation des instruments du pouvoir, conformisme fondé soit sur le caractère sacré de l'Etat, soit sur l'« orthodoxie » idéologique) des Empires bureaucratiques précapitalistes et de l'Etat totalitaire post-capitaliste, rendit possible la résurrection de certains traits essentiels du « mode de production asiatique» avec lequel Marx commençait la préhistoire de l'humanité : allelengyon ou incorporation forcée des paysans dans des groupes cadastraux et fiscaux dont les membres sont solidairement responsables des impôts établis sur l'ensemble du groupe ; prestations en nature sous forme d'impôts (annona) et de ventes forcées ( coemptiones), indictio ou détermination forfaitaire du montant des impôts, adjectio ( attribution aux cultivateurs des terres en friche avec toutes les charges dont elles étaient grevées), angariœ (corvées), metatum ou réquisitions pour l'entretien des agents de l'Etat, et jusqu'au vocabulaire « sacré » : c'est par le terme religieux de « premier commandement » que l'on désignait officiellement en U.R.S.S. les livraisons obligatoires des kolkhoziens, comme pour faire pendant au sacrœ delegationes (theiai diatyposeis) par lesquelles le Bas-Empire et Byzance annonçaient, au début de l'indiction, le chiffre de l'impôt ... Maxilloplumakios, « l'homme aux mâchoires de fer» : c'est ainsi que les paysans byzantins désignaient le bureaucrate chargé de « faire sortir de terre l'obole qui s'y cachait», et Lactance a laissé un tableau saisissant des recenseurs convoquant les villageois sur les places publiques, appliquant la torture, faisant déposer enfants contre parents, femmes contre maris, serviteurs contre maîtres ; leur arrachant des déclarations exagérées à force de sévices et surestimant encore celles-ci ; couchant sur le rôle enfants et vieillards 17 • L'expropriation par la terreur de 25 millions de paysans soviétiques et leur incorporation forcée dans 240.000 kolkhozes a provoqué des scènes non 16. Cf. notre étude : « Marx et le despotisme », in Contrat social, janv. 196o. 17. Lactancc : De mortibus persecutorum, chap. 23. Biblioteca Gino Bianco 147 moins épouvantables de déportations massives, d'expéditions punitives, d'occupations militaires : le massacre du bétail en pleine « famine artificiellement organisée » peut être considéré comme le symbole de ces années terribles. Dans le langage cc idyllique» des «manuels béats », le kolkhoze est défini comme une forme supérieure de coopérative de production, librement constituée, qui se gouverne elle-même, achète à son gré les services des stations de machines et de tracteurs (M.T.S.) et vend librement ses produits au marché. C'est la « démocratie kolkhozienne», laquelle, selon certains sociologues éminents, doit servir de modèle à la « démocratie industrielle » de l'avenir ... En fait, ces prétendues coopératives sont des communautés fiscales dont la direction est nommée par les autorités et dont la fonction principale est de fournir à l'Etat des quantités de produits déterminées uniquement par les besoins du régime et sans aucun rapport avec les impératifs de la viabilité économique du kolkhoze ni du bien-être de ses membres : aujourd'hui encore, les kolkhozes portent toujours les stigmates de la terreur qui les fit naître. · Une « législation sanguinaire» D'AILLEURSl,a phraséologie idyllique de la « Charte des kolkhozes » (qu'on déterre périodiquement pour dénoncer des abus devenus intolérables) s'évanouit dès qu'on examine l'expression juridique des rapports de production qui caractérisent le kolkhoze. Chaque nouvelle classe au pouvoir protège sa propriété fraîchement acquise, à peine légitimée, par une législation draconienne. Ainsi, dans les premières villes médiévales, le droit bourgeois, dit Henri Pirenne, « était plus sévère, plus dur que celui du plat pays », soumis au droit féodal traditionnel : « le vieux système des amendes et des compositions ne suffit plus; on doit organiser une sorte d'état de siège » 18 • La bureaucratie de l'ère stalinienne ne fit pas exception à la règle : un de ses premiers actes fut d'imposer une législation terroriste sans précédent, destinée à protéger sa « propriété kolkhozienne » contre les kolkhoziens. Ainsi le décret du 7 août 1932 sur la protection de la propriété d'Etat stipule la peine de mort pour les menus larcins dans les champs (comme dans les usines et dans les transports). Il fut décidé... ...d'appliquer à titre de mesure juridique répressive, au vol des biens des kolkhozes et des coopératives, la peine suprême de défense sociale (mort), avec confiscation de tous les biens; en cas de circonstances atténuantes, détention d'au moins 10 ans, avec confiscation des biens 19 • 18. Henri Pirenne : Les Villes et les institutions urbaines, 1939, 1., pp. 78 et 155. 19. Cf. B. Souvarine : op. cit., p. 484, et A. Bnykov : The Deve/opment of the Soviet Economie System (titre nbrégé : B.), pp. 210-11. Cf. également le Comrat social, janv.-fév. 1963, p. 33.
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