Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

146 Cette méthode devait jouer un « rôle immense et décisif dans des pays agraires comme l'U .R.S.S. » (p. 62) : Plus un pays qui passe à l'organisation socialiste de la production est économiquement arriéré, petit-bourgeois, agraire, plus maigre sera l'héritage que recevra comme fonds d'accumulation socialiste le prolétariat de ce pays au moment de la révolution sociale, et aussi plus l'accumulation socialiste devra être basée sur l'expropriation [N. B. : aliénation] d'une partie du surproduit des formes présocialistes de l'économie (V., p. 93 ; N.B., p. 102). L' ~lévation des prix des produits industriels, l'abai~sement des prix des produits agricoles, la pression fiscale, les emprunts forcés, l'inflation « en ~an~ que fo~e de taxati,on )) (N. E. pp. 65-66) etaient les diverses « methodes d'accumulation primitive )) que l'Etat devait employer pour épo~ger les excédents paysans dépassant la simple subsistance et constituer les fonds d'investissement. Préobrajenski appelait de ses vœux « une politique des prix consciemment dirigée vers l'exploitation de l'économie privée sous toutes ses formes )) 12 et qui traiterait « le secteur privé de l'économie comme un territoire étranger )) ( N.B. p. l 17)... Raisonnement indubitablement pertinent : seule une « exploitation colonialiste )) de l'agriculture par l'industrie pouvait permettre au régime de sortir de l'impasse. Mais comment, après un tel traitement, conserverait-il son caractère « socialiste )) ? Le concept même d' « accumulation socialiste primitive ))est un monstre logique : ~ne acc_umulations<?ci~listene peut être priminve puisque le socialisme présuppose une suraccumulation de capital, de même que l'accumulation primitive ne peut être so_cial!stepuisqu'elle constitue le prologue d'une histoire de violence et d'exploitation dont le socialisme sera l'épil?gue. En ce sens, la pertinence de l'argumentatl?n m~ttait ~ nu la .c?ntra~c~on majeure qui decoulait de 1rmmaturite «obJecnve» de la Russie pour le socialisme. Aussi Préobrajenski mettait-il tous ses ·espoirs dans la révolution internationale : «Toutes ces contradictions, écrivait-il en 1927, mo!ltrent ~a ,nécessi!é non seulement politique, mais aussi economique, d'en finir avec notre isolement et de trouver des ressources matérielles dans d'autres pays socialistes 13 • )) ~u contr~ire, Boukh~rine croyait que le capitalisme avait devant lui une longue ère de stabilité. C'est pourquoi le commencement de mise en application des thèses de Préobrajenski, en 1928, l'avait plongé dans une véritable angoisse au sujet de l'avenir du socialisme en U.R.S.S. L'offensive contre le paysan donnerait la primauté 12. V., p. 79. Dans N. E., p. 87, on lit: « ••• vers l'expropriation d'une part déterminée du surproduit de l'économie privée ... ». 13. Préobrajenski : « L'équilibre économique dans le S}'.'stèmesoviétiqu~ », in V., n° 22 (1927). Cité par R. V. Damels : The Conscience of the Revolution, 1960, p. 292. BibliotécaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL à la bureaucratie qui étoufferait le socialisme. Le 12 septembre 1928, il écrivait dans la Pravda: Si le prolétariat assume trop de tâches, il sera obligé de créer un appareil administratif colossal. L'accomplissement des fonctions économiques des petits producteurs, des petits paysans, etc., nécessite un trop grand nombre d'employés et d'administrateurs. La tentative de remplacer tous ces petits producteurs par des bureaucrates, par des tchinovniki (appeleil-les comme vous voudrez, ce sont en réalité des bureaucrates), implique la création d'un appareil si colossal que ses frais d'entretien seront incomparablement plus élevés que les dépenses non productives qui résultent des conditions anarchiques de la petite production. Une telle gestion bureaucratique, un tel développement de l'appareil écon01nique de l'Etat prolétarien, non seulement ne facilitent pas, mais font au contraire obstacle au développement des forces productives. En fait, ils conduisent exactement à l'opposé de ce qu'ils sont supposés être : une nécessité d'airain obligera le prolétariat à détruire cet appareil. (...) Si le prolétariat ne le fait pas, d'autres forces se chargeront de le détruire 14 • . Boukharine c~oyait q~e les «mesures exceptionnelles ))de pillage qui sonnèrent le glas de la coexistence pacifique entre l'Etat et la société paysanne étaient vouées à un échec certain; que Sta~e ~o~duisait _le pays _à ?1:e impasse et que sa demiss1on serait alors mevitable. En fait, le régime s'était engagé dans un mouvement irréversible. Une nouvelle « capitulation)) devant la résistance désespérée des paysans équivaudrait à une défaite mettant directement en cause les bases m~~es de la dom~ation du parti unique et de 1rmmense appareil bureaucratique par le_q~elil manif~stait son omniprésence. Si, comme disait Boukharine en 1924, « l'étroitesse relative du marché intérieur [c'est-à-dire l'absence de liaison organique entre les villes et les campagnes] provoqua l'effondrement du tsarisme)) 15 les A 1 , memes causes, re evant de ce qu'on pourrait appeler un « touganisme )) généralisé, précipitèrent la fin du système hybride de la nep son ~uaJ.ismeéco!l?mique incompatible avec son ~ono1,ithi~ID:peolitique, sa .structure plus ou moins egahta!re, ses paysans mdépendants et ses syndicats smon représentatifs, du moins sentimentalement attachés aux traditions ouvrières. Aussi le commencement de mise en application des méthodes d' « exploitation colonialiste )> des paysans préconisées par Préobrajenski révéla-t-il aussitôt la faille principale de son raisonnement. Il croyait qu'on pourrait éponger les excédents paysans par des moyens purement économiques en pratiquant des prix de monopole, en suréle~ vant les prix industriels et en abaissant les prix agricoles. E!l réalité, ~ ~tait impossible de capter le surproçluit, de _25 millions. de paysans indép~ndants sans detruire par la violence leur indépendance, sans ressusciter les formes les plus archaïques d'asservissement et d'exploitation - celles précisément, qui prévalaient, à l'aurore de 1~ 14. Cité par R. V. Daniels, p. 354. 15. Cité par Erlich : op. cit., p. 12.

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