Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

K. PAPAIOANNOU ne sera probablement pas aussi rapide que jusqu'à présent. (...) On pourrait investir deux fois plus pour le développement de l'industrie, mais l'allure du développement industriel deviendrait si rapide que nous ne pourrions la supporter, vu la grande insuffisance de capitaux disponibles, et qu'elle nous perdrait à coup sûr, outre que les réserves manqueraient pour créditer l'agriculture. On pourrait développer deux fois plus notre importation, surtout d'outillage, pour forcer l'allure du développement de l'industrie, mais cela pourrait provoquer un excédent d'importation sur l'exportation, créerait une balance commerciale passive et saperait notre monn:iie, c'est-à-dire la seule base sur laquelle soient possibles la planification et le développement de l'industrie. On pourrait forcer l'exportation, sans tenir compte du marché intérieur, mais cela entraînerait infailliblement de graves complications dans les villes par un énorme enchérissement des produits agricoles, une baisse des salaires réels et une certaine famine artificiellement organisée, avec tout ce qui s'ensuit 7 ... Staline fut rarement aussi bon prophète. Si cependant, six ans plus tard, cette « famine artificiellement organisée» battait son plein dans les villes et dans les campagnes, c'est que le fondement même des calculs de la cc droite » s'était révélé faux. Formellement justes, ses thèses étaient étayées sur la perspective d'une croissance cc harmonieuse », cc équilibrée », cc proportionnée », de l'industrie étatisée et de l'agriculture privée. En réalité, l'industrie retardait sur l'agriculture. Après la récolte record de 1925, ce fut cc la première fois dans l'histoire russe », notait Staline avec fierté (VII, 230 ), que « les paysans et les agents gouvernementaux de la collecte traitèrent sur le marché d'égal à égal». Ce fut la première et la dernière fois que le concept de bargainingpower effleura la réalité russe. La libre confrontation de la société paysanne et de l'Etat révéla aussitôt l'incapacité de l'industrie à faire face à la campagne : l'automne 1925 et l'hiver suivant verront la première crise inflationniste due à la cc disette de marchandises », laquelle réapparaîtra à la fin de 1927, accompagnée d'une chute vertigineuse de la collecte du grain. Alors que dans les trois derniers mois de 1926, 4,9 millions de tonnes de céréales avaient été collectées, les trois mois correspondants de 1927 ne donnèrent que 2, 7 millions de tonnes, soit 45 % en moins. Comme l'avait annoncé Eugène Préobrajenski, le coexistentialisme de la nep finissait par une catastrophe. cc Socialisme" et accumulation primitive DÈS septembre 1921, c'est-à-dire peu après l'adoption de la nep, Préobrajenski avait prédit 7. Cf. B. Souvarine : Staline. Aperçu historique du bolchévitme, p. 394. Staline maintint ses thèses éminemment boukhariniennes jusqu'au mois de juillet 1928. C'est en novembre 1928 qu'il répudia la • déviation de droite •· . BibliotecaGino Bianco 145 qu'après quelques années de cc cohabitation pacifique », le moment arriverait où cc le heurt entre capitalisme et socialisme deviendrait inévitable » 8 • Selon lui, la contradiction majeure de la nep tenait au fait que la demande paysanne était trop élevée, et non trop faible, comme le croyait Boukharine : la sous-production chronique de l'industrie était due à l'insuffisance des investissements et à la position de force qu'occupaient les paysans qui n'avaient plus à payer de loyer aux propriétaires, ni d'impôts élevés au gouvernement. Au lieu d'investir dans l'agriculture et l'industrie légère, il fallait donc donner la priorité à l'industrie lourde et tirer de la campagne les moyens de la subventionner. En outre, il fallait combattre le chômage industriel : 2 millions de chômeurs en 1926, suivant les chiffres officiels 9 , et absorber une surpopulation agricole que Préobrajenski évaluait à 20 1nillions d'âmes 10 • Seule une politique d'investissements massifs dans l'industrie pouvait parer à ces maux, et le seul moyen d'obtenir les capitaux nécessaires était de recourir aux méthodes de l'« accumulation primitive». L'exploitation coloniale des peuples allogènes ainsi que l'exploitation des ouvriers étant exclues par le caractère cc socialiste » du régime, et les possibilités d'accumulation socialiste proprement dite étant extrêmement limitées, étant donné l'état largement déficitaire de l'industrie, le seul moyen d'obtenir le taux maximum de formation de capital était l'« accumulation socialiste primitive ». Autrement dit, cc l'accumulation aux mains de l'Etat des richesses matérielles provenant principalement de sources situées en dehors de l'ensemble de l'économie étatisée» 11 • Cela signifiait « l'expropriation du surproduit agricole au profit de l'élargissement de la production socialiste » : Pendant la période d'accumulation prnrut1ve socialiste, l'Etat ne peut pas ne pas recourir à l'exploitation des petits producteurs [passage supprimé dans N. E.], à l'expropriation [N. E. : aliénation] d'une partie du surproduit des paysans et des artisans. (...) L'idée que l'économie socialiste peut se développer d'ellemême sans toucher aux ressources de l'économie petite-bourgeoise, y compris l'économie paysanne, est indubitablement une utopie réactionnaire (sic) ou petite-bourgeoise. La tâche de l'Etat socialiste ne consiste pas à prélever sur les producteurs petitsbourgeois moins que ne prélevait le capitalisme, mais davantage encore (N. E., pp. 62-64). 8. Cité par E. H. Carr: Socia/ism in One Country, 1958, p. 202. 9. Cf. Maurice Dobb : Soviet Economie Dcvelopment since 1917, 1949, p. 190. 10. Cité par B. Souvarine, p. 348. 11. Préobrajenski : « La loi fondamentale de l'accumulation socialiste • publié dans le Viestnik de l'Académie communiste, n° 8 (1924), (titre abrégé : V.), et ensuite, avec quelques légères modifications, dans Novafa Economika, 1926 (titre abrégé: N. B.). Cf. Lapidus et Ostrovitianov: Précis d'économie politique, 1929, pp. 444-46, et E. H. Carr: op. cit., pp. 202 sqq .

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