Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

L. EMBRY Ne pouvant nous arrêter devant des problèmes illimités, nous voudrions seulement dire quelques mots de ce qui importe le plus immédiatement., c'est-à-dire des prédilections politiques de l'intelligence moderne., elle-même conditionnée par le gigantesque développement de l'école populaire et étatique. Nous n'allons évidemment pas soutenir que., dans tous les pays., l'Université actuelle pousse délibérément sa clientèle vers le communisme., mais il est bien certain qu'elle en facilite l'avance en vertu des idées-forces qu'elle répand inlassablement. Passion raisonneuse et besoin de ramener la vie sociale à des axiomes ordonnateurs., combinaison de la rhétorique discursive et d'un matérialisme empirique, conception d'une justice qui soit d'abord égalitaire., fétichisme du progrès, de la science, de la machine., démystification., ce sont là les composantes d'un climat où le gauchisme et le marxisme s'épanouissent à leur aise, puis se condensent en leurs limites doctrinales. Cette harmonie préétablie n'a rien qui puisse surprendre, et l'on peut l'expliquer de deux façons : ou bien en invoguant par acte de foi le fameux sens de l'histoire et en décrétant que toute l'évolution des sociétés nous conduit nécessairement vers leur stade ultime et parfait, le communisme ; ou bien en rappelant que le marxisme a pris naissance au siècle dernier dans une atmosphère - et plus précisément une philosophie de l'histoire - véhiculant une idéologie dont il s'est nourri tout autant que s'en nourrit encore le gros des parvenus de l'intelligentsia. Cela pourrait d'ailleurs être pour lui cause, non pas de promotion définitive., mais de précarité... Quoi qu'il en soit., rien n'est simple. S'il est vrai que, d'une manière générale.,le credo scolaire ouvre la voie à l'enseignement marxiste et que le fait., pour l'école., d'être devenue un important et influent service public l'invite à se penser elle-même comme un monopole., comme un trust d'Etat dans un régime socialisé, d'autres facteurs jouent en sens inverse. Outre qu'il faut compter., qu'on s'en plaigne ou qu'on s'en loue., avec la persistance ou même le réveil et la remontée des religions et de leurs organes pédagogiques., le succès quantitatif de l'école publique engendre en elle des courants qui en contrarient fortement l'unité. C'est ici que nous entrons dans le paradoxe et que se dessine un cycle où il est licite de voir se refléter l'ironie des choses. Tant que nous vivons dans un régime semilibéral, l'Etat tolérant ou respectant la diversité des initiatives et aussi des traditions, l'école porte en elle toutes les contradictions. En gros., on la peut dire progressiste à tous les sens du mot., y compris celui que les marxistes tiennent en grande estime, mais cela ne l'empêche pas d'être à la fois socialiste, petite-bourgeoise.,anarchiste, nationaliste ; elle prépare et facilite la révolution sans toutefois l'unifier d'avance. L'exemple immédiat Biblioteca Gino Bianco 141 des pays du Moyen-Orient et de ceux de l'Afrique montre comment les étudiants et les élites intellectuelles peuvent à la fois appeler le communisme et faire barrage devant lui au nom de l'islam ou, plus encore., du nationalisme. Mais que vienne à s'établir le régime marxiste ou pseudo-marxiste dont on a imprudemment rêvé, c'est aussitôt la mise au pas de l'école et de l'intelligentsia., la condamnation de tout individualisme, donc une rétrogradation vers le dogmatisme et la scolastique officielle. Heureux les intellectuels qui ne seront pas, comme en Chine, périodiquement astreints à de véritables travaux forcés dans les campagnes, pour s'y confondre avec la masse et se purifier de tout orgueil de classe ou de fonction. La question est alors de savoir si l'école assumera volontiers les servitudes qui lui sont imposées jusqu'en ses manières de penser et de s'exprimer., ou bien si, de par sa propre existence et ses méthodes de recherche, elle ne peut manquer d'assouplir subtilement les mécanismes de la discipline, voire de redevenir un jour le foyer d'une opposition au moins larvée. Ces spirales ne sauraient être dessinées d'avance; pour le moment., et du point de vue qui nous occupe, l'antithèse entre l'Occident et l'Orient correspond à celle qui s'avoue entre une liberté souvent anarchique d'une part, une discipline massive et écrasante de l'autre. En Occident, le danger est celui du désordre dissolvant., du gaspillage et de l'aberration; dans le monde communiste, il est celui de la stérilité intellectuelle et artistique que ne dissimuleront pas longtemps des victoires purement techniques., d'ailleurs gonflées par la propagande et dont on commence à voir la fragilité. Tout compte fait, en ce domaine aussi les vices inhérents à notre civilisation sont moins répugnants, moins funestes, que ceux dont les régimes communistes sont la proie ; mais ce n'est évidemment pas une raison pour que nous prenions notre parti de tout ce qui nous mine et nous désagrège. Nous pouvons nous enorgueillir de créations scolaires très amples, très diverses, qui fort heureusement n'ont pas submergé des institutions privées originales et libres, que ce soit celles des Eglises ou bien les universités américaines, anglaises ou allemandes ; nous alimentons de la sorte une vie intellectuelle certainement variée., brillante et féconde. Prenons garde toutefois que ces richesses ne soient pas trop comparables à celles d'Alexandrie ou de Byzance, qu'elles ne secrètent pas trop de poisons ou de philtres corrupteurs. Développer constamment l'école, l'enrichir, l'outiller, ce n'est rien, ou ce peut être un mal, tant qu'on ne s'interroge pas anxieusement sur ce que doit être la culture d'un peuple libre, sur les hiérarchies qu'elle suppose.,sur ses liaisons indispensables avec la sagesse et même avec la force. Peut-être est-ce de ce problème que dépendet?-tnos chances de surclasser finalement le communisme.

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