L'ACCUMULATION TOTALI·TAIRE par Kostas Papaioannou ON SAIT qu'il faut entendre par accumulation primitive du capital les procédés violents par lesquels se sont réalisées les conditions majeures de l'industrialisation capitaliste : concentration de masses de capitaux au moyen du brigandage colonial; insertion forcée des économies naturelles dans le circuit des échanges ; expropriation massive des producteurs indépendants, cultivateurs et artisans ; formation d'un prolétariat « sans feu ni lieu », livré sans défense à l'« autocratie du capital». « Dans les annales de l'histoire réelle, remarque Marx à propos de l'accumulation primitive, c'est la conquête, l'asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale qui l'a toujours emporté. Dans les manuels béats de l' économie politique, c'est l'idylle au contraire qui a de tout temps régné 1 • » Marx visait les économistes qui attribuaient la formation du capital à l'épargne, à l'abstinence et aux « sacrifices » des bons pères de famille : n'oublions pas qu'à une date récente Alfred Marshall considérait encore le capital comme le produit de l' « affection familiale» ... Mais que penserait Marx de l'imagerie édénique qui emplit la littérature économique du « marxisme orthodoxe » 2? En fait, dirait-il, les r. Le Capital, Ed. sociales, III, 154. 2. Marx, qui n'a jam~ manqué l'occasion d'ironiser sur l' « humour noir » des Russes, aurait beaucoup à dire sur les euphémismes par lesquels on désigne rituellement les horreurs de la << collectivisation » depuis le jour où Staline célébra « l'affranchissement des paysans de leur attachement servile à leurs lopins de terre » : on retrouve cette formule dans l'insipide Manuel d'économie politique de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S. (1955, p. 387 de la traduction française). Les « progressistes » occidentaux n'ont fait que donner une apparence « scientifique » à ces sinistres plaisanteries. Molinari - une des innombrables bêtes noires de Marx - prend figure de révolté anarchiste si l'on compare ses thèses les plus conformistes au tableau paradisiaque de la « dékoulakisation ,, que M. Pierre George offre aux lecteurs de la Bibli·oteca Gino Bianco « méthodes d'accumulation prun1t1ve », capitaliste ou pseudo-socialiste, « sont tout ce qu'on voudra hormis matière à idylle». Le cc péché originel » MARX a décrit en des pages inoubliables les « annales de feu et de sang» de l'accumulation primitive. Il a surtout étudié l'expropriation des paysans anglais à l'époque des enclosures (phénomène qu'il considérait comme « la base de toute l'évolution» capitaliste : Capital, III, 156) et la « législation sanguinaire » par laquelle ces déracinés furent drainés vers les usines et soumis au pouvoir discrétionnaire des chevaliers d'industrie. Depuis Werner Sombart, nous avons un tableau plus complet des modalités de l'accumulation primitive. A côté des yeomen chassés de leurs terres par l'élevage des moutons, on voit les indios condamnés à la mita (travail forcé), les Africains vendus comme esclaves, les sujets du Grand .Mogol impitoyablement pillés par les agents de la East· India Company, les serfs transférés aux mines et aux manufactures de la Russie pétrinienne. Vers 1770, au moment du démarrage, le revenu national britannique n'était que de 125 millions de livres. L'installation de l'industrie métallurgique, vers 1790, coûta quelque 650.000 livres d'investissements. Mais on estime à 100 ou 150 millions de livres le seul produit du pillage de l'Inde par les Anglais pour la période 17501800. Il e~t évident que les revenus tirés de l'or collection « Que sais-je ? » : « L'essor des coopératives s'est heurté à la résistance des paysans riches, pour qui la culture mécanisée des terres des petits paysans sonnait le glas de leurs privilèges de gros propriétaires (sic). La généralisation du système coopératif s'est donc nécessairement accom.. pagnée de la destruction des privilèges des koulaks » ( Géo.. graphie agricole du monde, 1952, p. no).
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