Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

L. EMBRY au premier rang desquelles les constructions scolaires, les fabriques de matériel, l'édition, l'imprimerie, sans parler de toutes les interpénétrations qui s'établissent entre l'école et son personnel, d'une part, de l'autre, la presse, la radio, le monde des lettres et des arts. Nous avons ainsi sous les yeux une puissance tentaculaire en pleine ascension qui se donne de plus en plus une vigoureuse conscience collective et à laquelle des organisations très jeunes, telles que l'U.N.E.S.C.O., confèrent déjà une dignité internationale des plus notable. Cela étant, on ne peut guère hésiter quant aux voies, aux lignes d'évolution qui définissent l'avenir de la classe enseignante : ou bien elle ne sera qu'une formidable milice intellectuelle et politique, une Eglise d'Etat étroitement asservie au pouvoir central ; ou bien elle mettra en œuvre, presque sans le vouloir, toutes les énergies d'un syndicalisme ou plutôt d'un corporatisme de plus en plus ambitieux, et elle deviendra ainsi une des grandes féodalités régnantes. L'option sera naturellement résolue en fonction du pouvoir réel de l'Etat et de son aptitude à dicter sa loi. L'éventualité la plus rigidement simple se définit par conséquent dans les pays communistes, au point qu'il est superflu d'insister. L'Etat est omnipotent, omniscient, détenteur d'une vérité qu'il dit marxiste et scientifique, laquelle vérité commande l'avenir en même temps qu'elle explique le passé; il ne s'attarde pas à des équivoques et proclame sans ambages son mépris pour la liberté de pensée, préjugé bourgeois que remplace pour l'intellectuel, quel qu'il soit, l'obligation d'être sans réserve au service du peuple, donc de ceux qui gouvernent en son nom. D'où il suit que l'universitaire doit fournir à chaque instant non seulement les preuves de sa compétence mais celles de son orthodoxie, que les académies ont pour tâche principale de formuler la doctrine officielle aussi bien en matière d'histoire, d'agronomie ou de physiologie qu'au sujet des sciences sociales ou de l'art, et qu'enfin il n'y a nulle démarcation entre l'enseignement et la propagande. Cette contiguïté s'avère surtout dans les institutions destinées à recevoir des étudiants étrangers, africains ou asiatiques en majorité, dont on ne cache pas qu'on veut faire des missionnaires marxistes. Voilà du moins qui est clair ; ajoutons que le système paraît jusqu'à présent fonctionnet à l'entière satisfaction de ceux qui l'ont créé. Pour des raisons que nous verrons, les étudiants ont été, au cours du siècle dernier, et sont encore, dans les pays neufs ou sous-développés, un milieu révolutionnaire ; les enseignants sont dans les démocraties libérales inclinés vers le gauchisme et le progressisme. Mais on ne voit point du tout qu'en U.R.S.S. ou en Chine l'opposition ait jamais pu trouver sa base dans les écoles et les instituts, les intellectuels ayant au contraire multiplié les preuves de leur docilité. Si maintenant nous revenons en Occident, nous y trouvons natuBiblioteca Gino Bianco 139 rellement une situation plus compliquée, les Etats étant bien éloignés de pouvoir ou de vouloir unifier à outrance ce qui s'est constitué par stratifications successives et se gardant d'enfreindre trop cyniquement les principes libéraux et personnalistes auxquels ils rendent hommage. Aussi bien que dans l'industrie, il y a donc distinction persistante entre un secteur privé, qui enregistre, maintient ou développe les legs du passé, et un secteur national, dépendant à la fois des autorités locales et d'un ou plusieurs ministères spécialisés. Il est dans la nature des choses que s'effectue à travers des organismes hétérogènes, dont beaucoup sont en pleine croissance, une poussée vers l'unification ou la concentration. Celle-ci vient d'ailleurs beaucoup plus des universitaires euxmêmes que des gouvernements et se résume en l'idée plus ou moins précise d'une « politique de la jeunesse» qui engloberait l'école proprement dite, la formation professionnelle, la formation sportive, la préparation civique et militaire. Qu'il en résulte, même de façon discrète et voilée, une orientation totalitaire, que d'immenses problèmes soient ainsi soulevés, tels celui du droit des familles ou des rapports entre les Etats et les Eglises, on le voit immédiatement ; mais ce qui importe le plus sans doute, ce qui doit pour le moment retenir notre attention, c'est la manière dont un grand service public, d'une contexture fort délicate, est modelé par l'intérieur, c'està-dire par son personnel et par le travail quotidien. Il faut partir d'une réalité très prosaïque et néanmoins lourde de conséquences : on devient instituteur ou professeur comme on devient facteur rural, à la suite d'examens qui garantissent un emploi, un salaire et des avantages corrélatifs. Le moyen, dira-t-on, de faire autrement ? Un universitaire n'est pas un pur esprit et il faut bien d'abord qu'il soit un fonctionnaire comme les autres. Comme les autres, en effet, et toute la question est là. Même si l'on ne tient point du tout à paraître emphatique ou solennel, on ne peut s'empêcher de rappeler que, jusqu'à nos jours, l'enseignement a supposé l'autorité sacerdotale et qu'aujourd'hui encore un prêtre, un officier, un magistrat, ne sont point des employés simplement astreints à la loi commune. En ce qui concerne l'école, c'est la soudaine extension qui a déterminé la montée des effectifs, le recours, pour choisir les maîtres, à des critères superficiels ~ui ne portent que sur le savoir et la technique, 1intégration précipitée dans la vie moderne. Il en est résulté que, dans la plupart des pays, dans tous ceux du moins où ils dépendent directement du pouvoir central pour leur rémunération, les enseignants ont senti promptement s'éveiller en eux un vigoureux esprit de corps, lequel, malgré les titres et la hiérarchie, les rend solidaires les uns des autres, depuis les directeurs généraux jusqu'au plus modeste instituteur. La porte fut vite ouverte qui les introduisait dans l'ambiance du syndicalisme, et personne ne s'étonne plus

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