LA TRAHISON DES CLERCS Comment qualifier des sottises aussi énormes ? Ter Vaganian, directeur de la revue Sous le drapeau du marxisme, organe du « matérialisme militant » dont Lénine a fait l'éloge que l'on sait, Ter Vaganian était un « idéaliste » et finalement un « terroriste » ? Il n'est pas besoin d'attendre sa réhabilitation à Moscou, inévitable sinon prochaine, pour classer M. Nizan parmi les auxiliaires bénévoles du Guépéou aux ordres de Staline. Que ses camarades l'aient ensuite traité de policier, cela ne change rien à l'affaire. Ph. M. Il y a quantité de livres imprégnés de sophismes puisés aux sources staliniennes et qui se prêtent mal aux brèves citations, tant les tromperies y sont diffuses et entremêlées à de la prose fastidieuse. Un correspondant nous signale, entre autres, le livre du général A. Guillaume : Pourquoi l'Armée rouge a vaincu (Paris 1948), écrit entièrement selon les versions de la propagande communiste, à part les quelques pages de conclusion où l'auteur a pris certaines précautions de style pour se donner des airs d'impartialité. Le général Guillaume s'abstient soigneusement de mentionner les redditions en masse des troupes soviétiques dans les premiers mois de la guerre, redditions qui n'ont cessé que quand le traitement abominable infligé aux prisonniers russes par les Allemands a été connu du côté soviétique. Il feint de croire que les populations civiles qui ont accueilli les Allemands à bras ouverts lors de l'invasion étaient exclusivement ukrainiennes et musulmanes. Mutisme, pour ainsi dire, sur l'aide gigantesque apportée par les Anglais et les Américains à l'Union soviétique, quitte à la signaler dans un minimum de mots vers la fin, pour se couvrir. Eloge stupide d'une stratégie élémentaire qui a consisté à reculer sans cesse jusqu'à la Volga et au Caucase, pour entreprendre ensuite la reconquête du terrain perdu au prix de millions de victimes. Aùcun examen critique des pertes subies de part et d'autre. Enfin éloge insensé de Staline, tant politique que militaire, dont Khrouchtchev a fait justice, dont toutes les publications soviétiques depuis 1956 font justice en gros et en détail. · En U.R.S,S., de nos jours, il ne reste déjà rien de la légende de Staline. Mais elle subsiste en français tout au long du livre de ce général Guillaume, entièrement nourri de falsifications et impostures communistes. Autre exemple de soumission d'un écrivain français à la politique de Moscou trompeuse d'un bout à l'autre, !'Histoire de Russie de M. Albert Mousset (Paris 1945), dont on pouvait attendre autre chose. Le temps et la place manquent pour en faire ici l'analyse, mais disons que ce livre est absolument conforme aux versions des services soviétiques de propagande. Quelques échantillons en donneront une idée: L'automne de 1937 vit s'ouvrir, dans toutes les républiques de l'Union, des procès politiques contre Biblioteca Gino Bianco 129 les hommes a<.:cusésde saboter l'économie soviétique ou de favoriser les mouvements centrifuges : c'est la dernière grande vague d'épuration. Les militaires de l'ancienne et de la nouvelle formation ont cru pouvoir appliquer à l'évolution du régime l'expérience historique qui fait d'eux, tôt ou tard, les arbitres des révolutions, autrement dit : envisager l'éventualité d'une dictature prétorienne. L'Armée rouge ayant été l'objet de toutes les sollicitudes du gouvernement, certains états-majors profitèrent de la situation pour se donner les coudées franches et faire de la poliùque, voire de la diplomatie secrète : c'est ainsi que des officiers de très haut grade misèrent sur l'Allemagne et établirent des « contacts » avec les étatsmajors étrangers. Staline coupe court à ces pratiques en frappant à la tête. Toukhatchevski, maréchal à 42 ans, est exécuté avec plusieurs généraux ; de nom•· breux suspects sont éloignés de l'armée (1937). Cette action contre les menées militaires de la « cinquième colonne » sera, avec le gigantesque effort industriel du régime stalinien, l'un des facteurs de la victoire contre l'Allemagne. Vorochilov, commissaire du peuple à la Guerre depuis l 924, pourra désormais forger en toute sécurité l'instrument de cette victoire (pp. 289290 ). Il n'était nul besoin d'attendre la « réhabilitation » à Moscou de tous les militaires assassinés par ordre de Staline pour comprendre que l'accusation monstrueuse, portée contre tout l'étatmajor et plus de 30.000 officiers supérieurs de !'Armée rouge, d'être à la solde de l'Allemagne et du Japon relève de la médecine psychiatrique. Quant à attribuer à un Vorochilov, dont l'intellect ne dépasse pas le niveau d'un maréchal des logis, le rôle de « forger l'instrument» de la victoire, c'est tout bonnement du délire. Quel besoin avait donc M. Albert Mousset de s'abaisser à une telle besogne ? Voici la conclusion du livre : Le destin a voulu que, des « Trois Grands » qui dirigèrent la coalition des démocraties, Staline restât seul au pouvoir jusqu'à la fin de la guerre (14 août 1945). Son peuple le placera en tête des « rassembleurs » de terre russe. L'Europe le comptera au nombre des hommes dont la clairvoyance et l'indomptable énergie l'ont, à l'heure la plus critique de son histoire, sauvée du désastre (p. 329). Il faut espérer, au contraire, que l'Europe comptera Staline comme le plus néfaste des tyrans qui, de connivence avec Hitler, l'a plongée dans les pires malheurs. Quant à « son peuple » (sic), il a déjà vomi cette idole sanglante, quels que soient les atermoiements et les calculs politiciens qui retardent, mais ne pourront empêcher la vérité et la justice d'accomplir l'œuvre de salubrité nécessaire. Dans une sorte de résumé final de sa philosophie de l'histoire russe, M. Albert Mousset manque encore de belles occasions de se taire, entre autres quand il écrit : « «L'Union soviétique est devenue le coryphée des peuples slaves. » Il aurait d1l savoir que les Slaves ont toujours été divisés, souvent antagonistes, et que leurs diff érences historiques, religieuses, linguistiques, ne
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