130 pourraient s'accommoder d'une hégémonie abusive où l'élément russe exercerait la prépondérance. Il n'a pas prévu que la Yougoslavie, pays relativement plus slave que l'Union soviétique, serait la première à défier le pseudo-coryphée des peuples slaves. Il aurait dû prévoir que la Pologne paysanne et catholique serait inassimilable au régime communiste. Quant à la Bulgarie et à la Tchécoslovaquie, soumises à Moscou de par un impératif géographique, elles sont bien guéries de leurs illusions éphémères sur le slavisme soviétique. En tout cas, il fallait fermer volontairement les yeux devant Staline et le stalinisme pour y percevoir l'expression des aspirations slaves. M. Albert Mousset n'oserait plus signer, sous Khrouchtchev, le livre qu'il avait écrit sous Staline. Un de nos abonnés nous remet en mémoire certains articles de M. Georges Luciani qui fut avant la guerre, à Moscou, le correspondant de l'Echo de Paris, puis du Temps et du Petit Parisien sous le nom de Pierre Berland. Comment les lecteurs de ces trois principaux journaux français étaient-ils informés sur la Russie soviétique? Les incroyables extraits suivants, relatifs aux monstrueux « procès en sorcellerie » de Moscou, machinés d'un bout à l'autre par Staline en pleine paranoïa, vont en donner quelque idée : Quelle que soit l'attitude des accusés, ils sont tous d'accord pour reconnaître comme fondées les accusations portées contre eux. Le terrain de l'accusation est solide sur plusieurs points importants, et il est hors de doute que les accusés ont organisé des attentats terroristes contre les chefs actuels du parti et du gouvernement, qu'ils ont voulu faire place nette pour prendre le pouvoir et que, entre eux et le groupe des staliniens, c'était une lutte à mort dans laquelle ils faisaient bon marché des vies humaines. · Le Temps, 26 janvier 1937. Ce tissu de sottises grossières a été reproduit le lendemain matin par l'Humanité stalinienne, dûment encadré, et ensuite imprimé sur d'énormes affiches placardées à grands frais dans toute la France pour montrer aux incrédules que même un journal aussi bourgeois que le Temps devait convenir de la véracité des accusations ignobles et des aveux délirants dont Khrouchtchev a fait justice au x.xe Congrès. Autres extraits, qu'on ne peut relire sans éprouver un malaise : A notre avis, nous nous trouvons en présence de plusieurs révolutionnaires qui, n'ayant pu faire triompher leur opinions politiques par les voies légales, n'ont pas hésité à employer contre Staline les méthodes auxquelles ils avaient eu recours contre le tsarisme. La plupart sont de vieux conspirateurs, rompus à l'action clandestine et pleins de haine et de jalousie contre Staline, auquel ils ont toujours contesté, dans Biblioteca Gino Bjanco DIX ANS APRÈS STALINE le fond de leur cœur, le droit d'occuper la première place dans le pays. Il ne faut pas oublier que les complots et révolutions de palais sont dans la tradition russe, parce que les conflits ne peuvent se résoudre ici par les voies légales et pacifiques. (...) Il est, à notre sens, parfaitement vraisemblable que les ennemis de Staline aient utilisé l'ambition de Toukhatchevski, tout en se méfiant de ses visées bonapartistes, comme sous l'ancien régime des prétendants au trône ont si souvent utilisé les régiments de la garde impériale contre le tsar régnant. ...La conspiration, le sabotage, le terrorisme, tels nous semblent les chefs d'accusation plus ou moins solidement fondés. L'espionnage et les relations avec des pays étrangers nous semblent plus contestables. Le Temps, 8 mars 1938. On notera le procédé qui consiste à formuler des réserves sur un point particulièrement invraisemblable pour mieux faire admettre tout le reste, qui n'était pas moins répugnant. Comme si en renonçant à un seul de ces mensonges, on ne provoquait pas l'écroulement de tout l'échafaudage? Voici comment M. Pierre B~rland récapitule ses observations aussi «objectives» que compétentes : Aucun observateur objectif des choses russes ne peut plus, semble-t-il, mettre en doute l'existence du complot antistalinien, et même des relations de quelques conjurés avec certains pays étrangers. Au cours des grands procès de ces deux dernières années, nous avons vu s'étaler sous nos yeux, en un mélange parfois inextricable, le vrai et le faux, le réel et l'absurde, le vraisemblable et le fantastique, le pathétique et l'ignoble. Nous avons été tour à tour sceptique et indigné, sévère et attristé, navré et convaincu. Cet affreux mélange a amené certains auteurs à penser qu'il n'y a pas eu complot et que Staline et Iéjov ne sont que des bourreaux atteints de démence sanglante. Ces hypercritiques se trompent, le complot était bien réel, on ne peut discuter que son extension. Mais, avec sa perversité et sa maladresse habituelles, sa volonté de déshonorer ses victimes et sa conviction que la fin justifie les moyens, le Guépéou a, lui-même, souvent compromis l'accusation sur les points où elle paraissait le plus solide. Ce qui est en tout cas certain c'est que les dirigeants soviétiques sont fermement convaincus que !'U.R.S.S. a été travaillée dans la pénombre, comme tous les pays de l'Europe centrale et orientale, par des influences nazies, et qu'elle aurait aujourd'hui, elle aussi, ses Szalassy et ses Codreano, s'ils n'avaient mis le holà dès le début, avec leur rudesse habituelle. Ce qui paraît non moins certain, c'est qu'ils sont bien décidés à persévérer dans la voie qu'ils se sont tracée et que « l'épuration » a essentiellement, à leurs yeux, le caractère d'une défense du régime et de la Russie contre les intrigues allemandes. Le Temps, 1er juillet 1938. • , Le pacte de Staline avec Hitler pour envahir la Pologne et déchaîner la guerre mondiale, c'est ce que M. Berland entendait par une défense contre les intrigues allemandes. Et le Temps passait pour l'organe officieux du Quai d'Orsay. Faut-il commenter davantage ?
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