128 Besoin . de centrer l'émotivité des masses sur une figure, « une grande figure» (p. 217), concrète. Ce que M. Friedmann nomme « une sorte de nep morale» (p. 218). Ainsi, la religion n'est plus l'opium du peuple, en Russie soviétique. Il suffisait de substituer Staline vivant au dieu des chrétiens, et ce, au nom du matérialisme historique. Rien de sérieux ne permet de supposer que Staline ait voulu par ambition, par soif du pouvoir, ce tournant psychologique, qu'il ait poursuivi à son profit l'installation d'une dictature personnelle (p. 218). •..Ce n'est pas sans nécessité majeure que le P.C. a laissé se développer à travers toute l'Union cette extraordinaire propagande personnelle pour son secrétaire (p. 218). La même argumentation permettrait de soutenir que ce n'est pas sans une nécessité majeure que Hitler a été hissé sur le pavois, permettrait de justifier Mussolini, Franco et Peron. Que devient le marxisme, dans tout cela ? Après avoir loué la politique stalinienne qualifiée ingénument de « communisme de paix», M. Friedmann ne craint pas d'affirmer : Le ~ommunisme de paix a ses adversaires. Les procès de Moscou l'ont assez montré. Etait-il possible de les éviter ? (p. 231). ...La plupart de ces hommes [les opposants], nourris dans l'admiration et la crainte de l'Allemagne, jugeaient la guerre avec le IIIe Reich et le triomphe de celui-ci inévitables. (...) Il était préférable, pensaient-ils, de s'entendre avec l'Allemagne et le Japon, même au prix de «concessions» territoriales et sociales, quitte à repartir ensuite de l'avant. A la plupart d'entre eux, on avait confié dans le communisme de paix des postes importants. Ils n'y avaient pas toujours réussi et, déplacés, aigris, devenaient les demisoldes de la Révolution russe. Leur haine de l'équipe stalinienne, « la logique de la lutte » les ont entraînés à des complots, au sabotage, à des crimes contre le pouvoir soviétique (pp. 231 et 232). ...Le détail de ces procès est pénible : ce lacis de trahisons, de machinations avec des puissances et des polices étrangères, de sabotages, de duplicité, est pour les Occidentaux (même les plus favorables à !'U.R.S.S.) quelque chose d'étrange, d'affreux. Mais enfin la Révolution française a eu, elle aussi, ses éclats terribles, ses traîtres (p. 232). ...La Révolution s'est défendue. Une crise politique s'est ouverte, signalée par une épuration qui fait tache d'huile et s'étend de place en place à tout le territoire (p. 232). M. Friedmann outrage la Révolution française, où il n'y a rien eu, de près ni de loin, de comparable aux procès en sorcellerie de Moscou. Ou bien cet « intellectuel» serait-il d'une ignorance crasse ? Il n'a pas vu, dans ces procès, que tout était mensonge, tissu d'invraisemblances et d'impostures ? Il ne sait donc pas lire ? Quant à la tache d'huile, c'est sans doute un lapsus calami : il s'agit d'une tache de sang, d'un océan de sang qui a inondé tout l'immense pays soviétique. Mais M. Friedmann pourtant se demande : N'y a-t-il pas eu quelque chose de faux dans le régime intérieur du Parti, qui a entraîné des événements politiquement, socialement, internationalement aussi nuisibles au grand pays soviétique (p. 232) ? Il aurait souhaité « quelques soupapes» (p. 233). Ignorant ou voulant ignorer les millions de victimes innocentes, il écrit, au mépris de l'évidence : Car les milieux dirigeants, les techniciens, les intellectuels semblent à peu près seuls touchés ; non les masses d'ouvriers et de kolkhoziens (p. 233). Décrivant l'atmosphère lourde que la crise entretient parmi les intellectuels et les techniciens, M. Friedmann constate enfin qu'il est impossible d'utiliser scientifiauement les livres édités en .U.R.S.S. à l'époque. Il B.iblioteca Gino Bianco DIX ANS APIŒS STALINE avoue que des pamphlets ont remplacé l'histoire du P~rti, qu'on ne sert pas la « lutte nécessaire contre les trotskistes » en défigurant le rôle passé de Trotski, ni Staline en «multipliant les plates, les complaisantes apologies» (p. 233). Voici encore quelques perles : Le culte de Staline - politiquement et socialement justifiable - n'a certainement pas eu d'heureux effets sur le développement de la vie intellectuelle et artistique (p. 234). ...Cette période est celle des nécessités du communisme de paix (p. 235). ...Les trotskistes en sont venus, en U.R.S.S. et en Espagne même, à la conspiration et au sabotage, à des crimes (p. 238) • ...L'historien de l'avenir, lisant avec attention les écrits théoriques de Staline et ceux de Trotski, ne pourra pas ne pas voir que les buts sont chez eux identiques (p. 238). Ce mélange incohérent d'inepties, de calomnies et de fausse objectivité interdit toute discussion sérieuse. Les pseudo-trotskistes, qui avaient tous rompu avec Trotski depuis longtemps et répudié le trotskisme, ont été accusés d'avoir volé les tours du Kremlin, comme l'a écrit B. Souvarine pour simplifier et résumer, et il s'est trouvé des «intellectuels» genre Friedmann pour le croire. Comment ne pas éprouver de la nausée ? La diffamation des« poumistes » espagnols, qui n'étaient d'ailleurs nullement trotskistes, est particulièrement écœurante . M. Friedmann demande aux uns et aux autres une meilleure compréhension mutuelle pour sauver le socialisme. Il voit dans la Russie stalinienne «un effort gigantesque sur terre vers le bonheur et la culture » (p. 239), quand, ailleurs, le grand capital « suscite à travers le monde des formes d'oppression singulièrement habiles et cruelles» (p. 239). Y a-t-il à travers le monde des formes d'oppression aussi cruelles que sous Staline ? On peut mettre M. Friedmann au défi d'en citer une seule qui s'en approche, même de loin. Citons encore, cueillie dans la conclusion, cette affirmation superbe : L'Homme nouveau n'est pas un mythe (p. 240). Le « communisme de paix» dont M. Friedmann glorifiait Staline, c'était la préparation du pacte avec Hitler pour plonger l'Europe et le monde dans une guerre atroce. Quant à l'Homme nouveau, il en est question chaque jour dans la presse soviétique à la · rubrique des exécutions capitales : il est condamné à mort pour toutes sortes de crimes contre l'Etat prétendu socialiste, crimes inexplicables sous un régime dédié au bonheur de ses administrés. L'Humanité, 21 avril 1938, sous la plume de M. Jean Bruhat, apologiste du massacre des maréchaux et généraux de l'Armée rouge, n'a pas trouvé le livre de M. Friedmann assez orthodoxe. Elle l'accusait d'inconséquençe concernant l'opposition. «Trotski est un traître, écrivait M. Bruhat, et cela oblige Staline à réviser l'histoire du Parti. » De même « Boukharine est un traître»... « Trotski est un assassin» comme un chat est un chat, etc. Dans Commune de mai 1938, M. Paul Nizan s'indigne : « Il [Friedmann] a osé affirmer l'identité des buts poursuivis par Lénine (sic) et Trotski. (...) Il dénie à Staline le titre de philosophe.» La cause en est, d'après M. Nizan, que M. Friedmann « sépare la théorie de la pratique». C'est là agir selon l'idéalisme, et M. Nizan donne cet ,argument : « Mais on retrouve immédiatement le sens profond de la liaison entre la théorie et la pratique quand on dit que Ter Vaganian, qui représenta longtemps sur le terrain philosophique une nuance idéaliste de la pensée, a fini par être exécuté comme terroriste en 1930. Il faut beaucoup se défier des nuances idéologiques : elles vont loin. ,,
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