Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

LA TRAHISON DES CLERCS en Russie soviétique. Combien périrent en cours de route, ou plus tard de mauvais traitements ? En vain la Croix-Rouge internationale, les Nations Unies, le Congrès pour la protection de l'enfance, etc., ont-ils élevé leurs protestations platoniques contre ces monstruosités indescriptibles. Seule la Yougoslavie a restitué les 684 enfants qu'elle détenait, après la rupture de Tito avec Staline. En tout, 4.000 environ seulement ont pu être rapatriés, au cours d'une dizaine d'années, de diverses manières. Mais le monde civilisé entretient des relations diplomatiques, des « relations culturelles » avec les voleurs d'enfants et tolère cet immense, cet obsédant scandale. Khrouchtchev a eu le front de déclarer, le 8 mars, plaidant pro domo sua, que les cadres dirigeants du Parti (en son genre) connaissaient « l'existence d'arrestations » du vivant de Staline, « mais savaient-ils que l'on arrêtait des gens absolument innocents ? Non, cela ils ne le savaient 127 pas. Ils croyaient en Staline et ne pouvaient pas même imaginer que d'honnêtes gens dévoués à notre cause puissent être victimes de répressions. » Il suffit de se reporter au discours secret du XXe Congrès pour constater que Khrouchtchev ne le cède en rien à Staline pour le mensonge : il en appert trop clairement que Staline n'aurait pu verser à flots le sang de ses collègues et celui de ses sujets sans l'active complicité des Khrouchtchev, Mikoïan, Souslov et Kozlov, autant que de celle des Molotov, Malenkov, Vorochilov et Kaganovitch. Le haut-parleur de la direction collective ne prend pas la peine d'accorder entre eux ses propres discours, l'un réfutant l'autre. Mais en renouvelant son hommage aux services rendus par Staline, il prouve une fois de plus que le stalinisme a la vie dure et que Staline, même enseveli deux fois, est encore un mort qu'il faut qu'on tue. B. SOUVARINE. • LA TRAHISON DES CLERCS Notre rubrique du dernier numéro, La trahison des clercs, nous vaut notamment une longue lettre d'un correspondant de Bourg-la-Reine connu de certains de nos collaborateurs qui répondent de sa bonne foi, donc de ses citations, que nous n'avons pu vérifier. Cette lettre a trait à un livre tombé dans l'oubli, celui de M. Georges Friedmann, « ami de l' U.R.S.S. » typique : De la Sainte Russie à !'U.R.S.S., Ed. Gallimard, Paris, mars I938, préface de Francis Jourdain. Notre correspondant ne cite malheureusement rien de la préface. Nous reproduisons l'essentiel de sa lettre, quelque peu abrégée. 23 mars 1963. L'ouvrage de M. Friedmann fut publié au moment des effarants procès de Moscou, des déportations en masse et des sanglantes «purges» staliniennes. Comme l'auteur l'écrit lui-même, ...Ces procès et la crise politique qui les a suivis ont fait au prestige mondial de !'U.R.S.S. un tort considérable (p. 232). M. Friedmann a pour but de justifier la politique stalinienne, qualifiée par lui de « communisme de paix• (p. 225), en évitant toute apologie systématique qui « fait au crédit de l'U.R.S.S. à l'étranger plus de mal que de bien» (p. 15). Justification prudente puisque l'auteur, entre autres, veut absolument ignorer les tueries, les déportations, la décapitation de l'Armée rouge, la crise catastrophique de l'agriculture suivie d'une famine meurtrière, la tragédie des millions d'enfants abandonnés, etc. Parlant du culte de Staline, M. Friedmann ose écrire : Rien ne permet de croire que cette énorme transformation psychologique ait été dkid~ dans des buts personnels par Biblioteca Gino Bianco . Staline. Au contraire. Des témoignages directs que j'ai recueillis le montrent agacé par des manifestations de ce genre, arrêtant net des expressions déplacées de ce culte (p. 216). Ainsi Staline, débonnaire et impuissant, ne pouvait empêcher ses zélateurs de le porter aux nues, de le déifier. Quand il dictait sa propre apologie, quand il corrigeait l' Histoire du Parti pour s'attribuer du génie à tout propos, c'était pure modestie. Mais comment expliquer ce que M. Friedmann appelle « les apparences extérieures d'une dictature personnelle» (p. 216) ? En bien des cas, et dans les domaines les plus divers de la vie soviétique, l'influence personnelle de Staline a été certainement d'une grande sagesse (p. 216) . ...C'est à lui que l'ouvrier, que le kolkhozien rapportent chaque progrès vers le bien-être accompli depuis le début des plans quinquennaux (p. 216). La ferveur des intellectuels et des techniciens est pourtant moins sincère. Les amis dévoués de !'U.R.S.S. (genre Friedmann) en sont gênés : Certains d'entre eux, voyageant en U.R.S.S., en étaient si mécontents qu'ils attribuaient la grossièreté de cette propagande au «sabotage» de l'opposition politique. Qui sait s'ils ont complètement tort puisque ces excès desservent l'U.R.S.S. à l'étranger ? (p. 217). Pour M. Friedmann, l'explication de ce débordement de servilité est qu'il fallait galvaniser les masses encore arriérées autour d'une figure pour lutter contre l'opposition et affermir leur patriotisme. S'il fallait galvaniser les masses, c'est donc que le «culte» venait d'en haut, donc de Staline et de son entourage ? Et si les masses étaient si arriérées, pourquoi les a-t-on présentées comme l'avant-garde de l'humanité civilisée ? Comment en vile multitude l'élite s'est-elle changée ? C'est sur Staline que se concentrent les attaques [ de l'opposition], les menaces d'attentat (p. 217).

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