LE MYSTÈRE ROUSSEAU L'ANNÉEROUSSEAUa fait couler beaucoup d'encre et l'on a pu lire maintes dissertations savantes sur tels et tels aspects de sa pensée, sur la signification de telle ou telle de ses œuvres, dans diverses publications dont nous avons signalé ici les principales. Cependant, tant d'analyses et de commentaires ne disent pas pourquoi tant d'explications et d'interprétations sont nécessaires après deux siècles au cours desquels n'ont pas manqué les gloses de toutes sortes. Ni comment des textes que certains exégètes jugent parfaitement clairs suscitent encore des inférences contradictoires. Il y a donc un mystère Rousseau, mystère de son influence en son temps et surtout mystère de son prestige posthume dont les commémorations de l'an dernier portent témoignage. Dans un article d' Esope sur « L'année Rousseau » en décembre dernier, M. Pierre Gaxotte, malgré un persiflage au début qui risque d'indisposer le lecteur, a le mérite d'embrasser en six pages l'ensemble du sujet et de bien poser à la fin le principal thème préoccupant à notre époque, tout cela dans une langue alerte et heureusement dépourvue de jargon à la mode. Rousseau est-il le père spirituel du totalitarisme contemporain ? On aimerait sur ce point essentiel un débat contradictoire. En attendant, et avec quelque espoir de l'amorcer, on reproduit ci-après l'exposé du concept politique de Rousseau par M. Pierre Gaxotte: Quant au système politique de Jean-Jacques, on ne peut pas le méconnaître: le Contrat social et l'article Economie politique de !'Encyclopédie sont parfaitement clairs et parfaitement explicites. Rousseau est le père spirituel, non des républiques équilibrées, modérées, aux pouvoirs balancés, mais des régimes totalitaires et des démocraties dites populaires. Les fondements de la société sont, selon lui, l'égalité complète des associés, l'aliénation des droits de chacun au profit de la collectivité, la subordination des contracB.iblioteca Gino Blanco tants (puisque la société repose sur un contrat fictif) à la volonté générale. Entendons-nous bien sur le sens de cette expression. Dans toute nation civilisée, on admet précisément que le signe le plus sftr de la civilisation consiste dans les garanties accordées à la minorité : la majorité gouverne, fait les lois, mais il est un certain nombre de droits qu'elle ne peut violer, qu'elle ne peut retirer au parti des plus faibles. Ces droits, ces libertés, ces garanties sont au-dessus et hors de sa volonté. Ce n'est pas ainsi que l'entend Rousseau. La volonté générale, pour lui, n'est même pas la volonté du plus grand nombre. C'est la voix profonde de la conscience humaine, telle qu'elle devrait parler en chacun de nous et telle qu'elle s'exprime par la bouche des citoyens les plus vertueux et les plus éclairés. Mais comment reconnaîtra-t-on ces citoyens ? Ils se désigneront euxmêmes. Ils seront le Parti investi du soin de faire l'histoire. Leur tâche première et pour ainsi dire unique consiste à détruire, à empêcher de renaître tous les organismes naturels - propriété, famille, corporation, province, patrie - qui, jusque-là, encadraient et soutenaient les individus et qui désormais sont considérés comme oppressifs et immoraux. On objectera que la majorité des citoyens les respectent, s'y complaisent, y trouvent le bonheur et la paix. Peu importe. Il n'y a pas de liberté contre la Liberté : si la volonté générale ne parle pas en eux, c'est qu'ils sont pervertis, dégradés et c'est un devoir · pour le , troupeau illuminé des citoyens conscients de les émanciper malgré eux et par n'importe quel moyen. Lisez cette note cocasse et redoutable du Contrat social : « A Gênes, on lit au devant des prisons et sur les fers des galériens, ce mot: Libertas (liberté). Cette application de la devise est belle et juste. En effet, il n'y a que les malfaiteurs de tous états qui empêchent le citoyen d'être libre. Dans un pays où tous ces genslà seraient aux galères, on jouirait de la plus parfaite liberté.» Il ne se moque pas. Mais, comme l'écrit son plus ré~ent critique, M. Lebois, sa démocratie est celle des cmnps d'internement, des cours martiales et des tribunaux à rebonds. L'Etat prime tout et la famille d'abord, car « l'Etat demeure et la famille se dissout ». Il est le maître des consciences, car « la justice, le bien public, l'obéissance aux lois naturelles et positives, les vertus sociales, tous
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