Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

108 que, même avec une période d'attente aussi ridiculement courte, près de 10 % de ceux qui avaient déposé la demande ne reviennent pas pour se marier. ... Les fiançailles et les anciennes coutumes de mariage ne sont nullement aussi irrationnelles et ridicules qu'elles nous le semblaient parfois; certains usages du « rituel de l'ancien régime» devraient être rétablis et même sanctionnés par la loi. Des termes tels que « fiançailles », « réception de la promise » et « noce » sont toujours vivants de nos jours ; dans bien des villages et cités ouvrières, ce ne sont pas seulement des mots, mais des cérémonies civiles qui n'ont rien de commun avec le rituel de l'église. ...Que sont les fiançailles ? C'est la rencontre publique préliminaire entre les jeunes qui veulent se marier. Cette rencontre a lieu en présence des parents, amis et connaissances du promis et de la promise. ( ...) L'expérience des siècles prouve que l'intervalle entre les fiançailles avec remise de la bague à la fiancée (...) et le mariage doit s'étendre non sur des jours, mais sur des mois. A cela il y avait une raison profonde. Les fiançailles ne sont pas le mariage et la bague de la fiancée n'est pas l'anneau nuptial. Tant de choses peuvent arriver dans ce monde : « L'amour est pervers, on peut s'amouracher d'un bouc ou même d'un âne.» Le peuple a forgé beaucoup de ces proverbes de mise en garde. Si les fiancés constatent l'incompatibilité de leurs natures, le mal n'est pas bien grand. Mais si cela arrive au mari et à la femme, c'est une tout autre affaire. Dans le premier cas, il n'y a que des pleurs, même s'ils sont très amers, mais dans le second, la blessure fait souffrir la vie durant. ... Après tout, qui nous a jamais obligés à rompre les traditions de nos pères, travailleurs et paysans, qui imposaient une période probatoire afin que les fiancés se connaissent mieux ? Qui a exclu de notre vie la grande et heureuse coutume d'obliger les jeunes à rester fiancés pendant assez longtemps ? Personne, il me semble. Outre ces longues fiançailles, qui imposent aux jeunes un temps de réflexion salutaire, la cérémonie elle-même du mariage doit être modifiée. Il ne suffit pas d'une simple inscription au bureau d'enregistrement des naissances, mariages et décès, trop souvent installé dans un local sordide et malodorant, où les fiancés doivent parfois attendre leur tour, entre une femme en pleurs venue déclarer la mort de son mari et un père trop joyeux de faire inscrire la naissance de son rejeton qu'il a déjà célébrée par de copieuses libations, avant de passer devant un scribe indifférent ou maussade : Il vaudrait mieux enregistrer les jeunes dans les locaux du soviet. L'enregistrement doit être fait par le président du soviet lui-même ou bien par un viceprésident, et non par un simple chef de bureau. (...) Les témoins ou le père et la mère comme répondants doivent être présents à la cérémonie du mariage (Kom. Prav., 6 janv. 1962). Encore une fois, constatons ici la nostalgie, si répandue en U.R.S.S., de cérémonies plus solennelles, plus imposantes, capables de laisser une impression profonde dans l'âme des jeunes époux, de trancher sur la-grisaille de l'existence quotidienne. Puisque, dans un pays communiste, Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE il n'est pas question de légaliser le mariage religieux avec sa pompe et son pittoresque d'antan, au moins faudrait-il rendre plus attrayante la célébration du mariage civil : le bureau du président du soviet est certainement la plus belle pièce de l'immeuble municipal et les fiancés se présenteront devant la plus haute autorité locale. QuE NOUS APPREND cette enquête de la Komsomolskaïa Pravda ? Malheureusement rien sur la famille paysanne, kolkhozienne ou sovkhozienne. Quant à la jeune famille citadine, elle souffre en U.R.S.S. des difficultés qui sont celles de beaucoup de jeunes ouvriers ou employés de la société industrielle de l'Occident; problèmes considérablement aggravés par les complications économiques de la vie quotidienne en Union soviétique. Loin d'aplanir les difficultés éprouvées par les jeunes, le régime leur impose les dures disciplines de l'effort collectif. Le souci d'améliorer le rendement dans la production par l'emploi accru de la main-d'œuvre féminine prime aux yeux des dirigeants la nécessité d'assurer aux jeunes une vie familiale normale, la femme demeurant au foyer. Au lieu de libérer celle-ci des -« travaux pénibles et des équipes de nuit », il n'est question que d'intensifier la participation de la femme au travail socialement productif. Malgré toutes les promesses de bien-être futur, inscrites dans le nouveau programme du Parti, cette orientation de la politique intérieure ne laisse prévoir aucune amélioration prochaine du mode de vie de la famille soviétique. Il ne reste à celle-ci que de rêver, sans trop y croire au fond, aux bienfaits futurs du « communisme édifié », tout en regrettant les usages du passé. Raymond Aron a écrit à propos de Maurice Merleau-Ponty : « Il a fallu à l'éminent philosophe une dizaine d'années de méditation pour se convaincre et convaincre ses disciples de la vérité de propositions que le non-philosophe n'avait jamais mis en doute 7 • » Il aura fallu aux dirigeants de !'U.R.S.S. plus de trente-cinq ans pour comprendre la nécessité de rétablir dans l'armée les grades d'officiers, les épaulettes et l'esprit de corps, copiés sur· ceux de l'ancien régime. Combien de temps leur faudra-t-il encore pour se rendre compte que leur politique à l'égard de la famille ne répond en aucune façon aux aspirations tenaces de la masse non marxiste de la population, pour revenir a,ux us et coutumes du passé afin de consolider, autant que faire se peut dans une société industrielle, la famille, cellule primaire de toute société, qu'elle soit communiste ou non? E. DELIMARS. 7. Dimensionsde la consciencehistorique, Paris 1961, p. 42.

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