Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

LA COERCITION .APRÈS STALINE par Jeremy R. Azrael LE SIGNE institutionnel le plus net d'une diminution de la contrainte depuis la mort de Staline est l'effacement relatif de la police secrète. Aujourd'hui, celle-ci n'est plus un Etat dans l'Etat; elle a perdu son empire économique « privé » et le Parti la tient en lisières. Cependant, bien que son potentiel en tant que base d'une puissance indépendante ait été grandement rogné, elle n'en demeure pas moins un important instrument de pouvoir dont les héritiers de Staline ont tenu à maintenir le prestige et l'autorité. Au xxe Congrès du Parti, en février 1956, Khrouchtchev exprima la crainte que la révélation des incroyables excès perpétrés par la police secrète ne nuise à son efficacité. Il qualifia d' « incorrecte et nuisible » la « méfiance à l'égard des travailleurs des organes de la sécurité d'Etat » manifestée par « certains camarades » et annonça que la tâche du Parti était de « renforcer à tous égards les bureaux de la sécurité d'Etat ». Au XXIe Congrès, en 1959, il parla de la nécessité de « renforcer les organes de la sécurité d'Etat » et déclara qu'il serait « stupide et criminel » de vouloir les affaiblir. Rôle de la police secrète PAREILLESDÉCLARATIONS (on en pourrait citer bien d'autres) prouvent à l'envi qu'il ne faut pas s'exagérer la mesure dans laquelle la police secrète a été émasculée. Aujourd'hui comme sous Staline, chaque usine, kolkhoze, sovkhoze, unité militaire, bureau ou école supérieure de quelque importance est doté de son propre spetsotdiel (section spéciale). Le régime s'efforce toujours de convaincrele peuple que rien d'important en matière politique n'échappe aux regards de la police secrète, et celle-ci continue certaineBiblioteca Gino Bianco ment d'entretenir un vaste réseau d'informateurs et de tenir à jour les dossiers d'un grand nombre d'individus. Les dirigeants proclament qu'à présent la fonction primordiale de la police secrète est de barrer la route à l'espionnage étranger, mais cela n'implique aucunement qu'elle se limite à des activités ordinaires de contre-espionnage. Le souci de la sécurité est tel que d'immenses secteurs de la vie sont « fichés » et la méfiance telle que presque tous les aspects d'un comportement non conformiste sont considérés comme un point d'appui potentiel pour la subversion capitaliste. En fait, un texte important sur la nécessité de la « vigilance » précise qu'une conduite exemplaire n'est pas en elle-même une preuve de loyalisme et qu' cc il est difficile de reconnaître l'ennemi caché (...) qui prend d'ordinaire le masque d'un honnête citoyen soviétique, voire d'un patriote et d'un activiste » 1 • Nous touchons là au fond de la logique terroriste : tout membre de la société est suspect. Caractéristique du stalinisme, cette logique s'exprime aujourd'hui rarement de manière ouverte. Néanmoins, quand les simples « non-conformistes » deviennent des « suspects », cette logique perce dans la définition extrêmement floue du comportement cc non conformiste». Au XXIe Congrès, Alexandre Chélépine, chef de la sécurité d'Etat, parla de la nécessité d'éliminer les « apostats, dégénérés, ivrognes et forts en gueule », tous individus susceptibles de « mordre à l'appât de l'ennemi». Au XXIIe Congrès, il mentionna « la suffisance, l'insouciance et la jobardise » comme des traits de caractère systématiquement exploités par l'ennemi. Le fait qu'il se soit senti obligé d'ajouter : « Il va de soi (...) que nous ne devons I. La Vie du Parti, 1958, n° li.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==