L. LAURAT sont aujourd'hui de plus en plus contestés, est le meilleur moyen d'atteindre les objectifs du socialisme. * .... DANS deux ouvrages importants 6, Karl Renner esquisse une réponse. Dans le premier (L'Economie comme processus d'ensemble et la socz'alisation), il scrute le processus de socialisation qui s'effectue automatiquement en économie capitaliste en vertu des tendances de centralisation et d'organisation énoncées par Marx dans le livre III du Capital. Dans le second (Chemins de la réalisation), il ana]yse le même processus de socialisation à l'autre pôle, dans la classe salariée. Alors que Hilferding n'avait envisagé que la division de l'économie en deux secteurs (monopolisé et concurrentiel), Renner étudie ce phénomène à l'échelon des branches et des entreprises. Il montre que, même dans le secteur concurrentiel, certaines entreprises, sans jouir d'un monopole absolu,· sont assez puissantes pour pouvoir dicter leurs conditions d'achat à des fournisseurs dispersés ou leurs conditions de vente à des acheteurs eux aussi trop nombreux pour pouvoir se grouper. A la répartition automatique de la plus-value, réglée par la concurrence, se substitue ainsi l'attribution autoritaire. Les entreprises plus faibles ne sont pas seulement frustrées de la plus-value qui devrait leur revenir, et leurs propriétaires réduits au « salaire de direction» ; elles sont en même temps dépendantes de celle qui est, soit la principale acheteuse de leurs produits, soit la principale vendeuse des produits qu'elles ont à transformer ou à revendre. Le principe d'organisation, celui que le socialisme traditionnel ne cessait d'opposer à l' « anarchie capitaliste », s'insère ainsi de plus en plus jusque dans le secteur concurrentiel. Cette évolution offre, selon Renner, des possibilités d'intervention et de régulation inimaginables à l'époque de Marx; elle permet en même temps à la collectivité (nationale, régionale, locale - selon le cas) de capter, par des méthodes fiscales ou par le crédit, la plus-value là où elle se concentre effectivement. Toutes ces opérations sont évidemment concevables sans cassure brutale, sans intervention chirurgicale ; elles excluent même toute perturbation dans la continuité du processus économique. Renner est le seul de tous les continuateurs de Marx qui, à notre connaissance, tire des conclusions pratiques de la distinction que fait Marx, au livre III du Capital, entre le capital actif et le capital sans fonction,. Toutes mesures frappant le capitaliste actif désorganisent l'activité économique et por6. Die Wiruchaf t al, Ge1amtprozess und die Sozialisierung (1926) et Wege der Verwirklichung (1929). Biblioteca Gino Bianco 367 tent préjudice à tous ; ce n'est qu'en s'attaquant au capital sans fonction, bénéficiaire de l'intérêt, du dividende, de la rente foncière, que la collectivité peut récupérer sans dommage pour ellemême des revenus perçus sans contrepartie. Et elle le peut par les méthodes et grâce aux institutions déjà existantes, développées par le capitalisme. Ouvrons ici une parenthèse. La distinction entre capital actif et capital sans fonction pourrait peut-être expliquer en partie le succès ou l'échec des révolutions du passé. Il est permis de penser que des révolutions consacrant la déchéance d'une classe sociale n'ayant plus de fonction active, utile, dans le processus économique (donc d'une classe devenue parasitaire) ont toujours été irréversibles (1789), alors que des révolutions s'attaquant à une classe active, indispensable au processus économique, quoique exploiteuse, se sont toujours soldées par un échec, soit qu'elles aient abouti au rétablissement des anciens maîtres dans leurs anciennes fonctions (ce qui fut partiellement le cas en U.R.S.S. pendant la nep ), soit qu'elles aient complètement recréé, sous un aspect différent, l'ancienne classe dirigeante demeurée indispensable et que Djilas appelle la « nouvelle classe» (dans l'Union soviétique de nos jours). La révolution russe a éliminé pour toujours l'aristocratie, les propriétaires fonciers, qui étaient devenus de véritables « sans fonction » ; elle n'a pas réalisé les fins illusoires d'un Lénine et d'un Trotski 7 • Revenons à Renner. Les interventions graduelles et partielles dans le processus de circulation qu'il propose aboutissent à ce que Gaitskell appelle la « propriété publique », par opposition à la « nationalisation ». Il écrit : L'évolution du capitalisme vers son apogée remplace la prétendue panacée : la brutale liquidation par expropriation des entreprises économiques, par un système de subordination et de « superordination n, d'intégration, qui préserve le plus souvent la propriété juridique et le fonctionnement technique. Il ne faut cesser de souligner qu'il s'agit en premier lieu de la fonction économique de la propriété et de l'entreprise 8 • Un peu plus loin, Renner répond à ceux qui, se refusant à attendre l'accomplissement graduel de cette évolution, proposent de faire de l'Etat « le konzern de tous les konzerns » et d'étatiser toutes les entreprises : La simple concentration et le simple transfert de la propriété juridique entre les mains d'un seul titu7. Dans une lettre à Kautsky (8 fév. 1882), Engels écrivait : « Les fins véritables, non illusoires, d'une révolution sont toujours réalisées par suite de cette révolution » Fn·cdrich Engels' Bricfwechsel mit Karl Kautsky, p. 50 (publié par Benedikt Kautsky, Vienne 1955, Dnnubia-Verlag). 8. K. Renner : Wandlungen der modernen Gcstllschaft, 1953, p. 195. Le passage cité a été écrit en 1950, peu avant la mort de l'auteur.
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