B. SOUV ARINE « Pour éviter cette transf ormatlon, inévitable dans tous les régimes antérieurs, de l'Etat et des organes de l'Etat, à l'origine serviteurs de la société, en maîtres de celle-ci, la Commune employa deux moyens infaillibles », à savoir l'élection et la ·révocation des fonctionnaires par le suffrage universel et leur rétribution au salaire des ouvriers. On doit d'autre part à Engels une définition de l'Etat qui sera pour Lénine parole d'évangile : «L'Etat n'est rien d'autre qu'une machine à opprimer une classe par une autre, et cela, tout autant dans la république démocratique que sous la monarchie; (...) il est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur (...) et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s'empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés nuisibles... », etc. A quoi Lénine fera écho : « Tout Etat, y compris la république la plus démocratique, n'est autre chose qu'une machine à réprimer une classe par une autre. L'Etat prolétarien est une machine à réprimer la bourgeoisie par le prolétariat. » TL Y AURAIT trop à retenir dans le foison1 nement de citations où Lénine se complaît sans souci du style ou de la forme, dans tant de répétitions et de variantes où pullulent les guillemets et les parenthèses. Il faut nécessairement dégager la substance la plus assimilable pour montrer ce que Lénine entendait par «socialisme». Du moins ses idées maîtresses sont-elles parfaitement intelligibles. La Commune, « cet embryon du pouvoir des Soviets », ne l'a pas seulement incité à exorciser la vénération «superstitieuse» de l'Etat (Engels dixit), elle lui paraît anticiper sur les Soviets parce que, selon Marx, «la Commune était non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois ». Et Lénine reprend inlassablement son antienne pour prêcher l'électivité, la révocabilité, le salaire des fonctionnaires aligné sur celui des ouvriers « afin que tous deviennent pour un temps bureaucrates et que, de ce fait, personne ne puisse devenir bureaucrate ». Sur un point capital, il n'insiste guère : l'incompatibilité manifeste entre le fédéralisme municipal de la Commune et le centralisme jacobin dont il était féru d'autre part. «La Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne. (...) L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale» : ces lignes de Marx, auxquelles Lénine s'empresse de souscrire, ne suffisent pas à réfuter Edouard Bernstein pour qui le programme d'organisation nationale de la Commune;, «par son contenu politique, accuse, dans tous ses traits essentiels, une ressemblance frappante avec le fédéralisme de Proudhon ». Avec une ou deux phrases de Marx comme celles qui précèdent, Lénine a réponse à tout ( magister dixit), mais la théorie est une chose et la pratique en est une autre. Biblioteca Gino Bianco 257 Si la Commune a trop peu vécu pour tenir lieu de preuve, l'Etat soviétique ne manquera pas de l'administrer. Vers la fin de L'Etat et la Révolution, Lénine se fait l'interprète des marxistes qui, << tout en se proposant de supprimer complètement l'Etat, ne croient la chose réalisable qu'après la suppression des classes par la révolution socialiste, comme résultat de l'instauration du socialisme qui mène à la disparition de l'Etat ». Il prévoit qu'en régime socialiste, « tout le monde gouvernera à tour de rôle et s'habituera vite à ce que personne ne gouverne». S'il ne doute pas de l'avenir, «c'est que le socialisme réduira la journée de travail, élèvera les masses à une vie nouvelle, placera la majeure partie de la popuation dans des conditions permettant à tous, sans exception, de remplir les fonctions publiques. Et c'est ce qui conduira à l'extinction complète de tout Etat en général. » Avant de confronter le socialisme défini par Lénine au « socialisme » établi dans l'Union soviétique, le rêve et la réalité, on ne peut résister à la tentation de consigner une dernière citation de celui que H. G. Wells a dénommé « le rêveur du Kremlin », un rêveur qui se rend témoignage à soi-même en même temps qu'à son maître : «Il n'y a pas un grain d'utopisme chez Marx ; il n'invente pas, il n'imagine pas de toutes pièces une société nouvelle. Non, il étudie, comme un processus d'histoire naturelle, la naissance de la nouvelle société à partir de l'ancienne, les formes de transition de celle-ci à celle-là. Il prend l'expérience concrète du mouvement prolétarien de masse et s'efforce d'en tirer des leçons pratiques. Il se met à l'école de la Commune ... » A LA VÉRITÉ, l'utopisme savant du socialisme soi-disant scientifique, avec ce qu'il contient d'idéalisme sous une terminologie matérialiste, est assez mis en lumière par quelque connaissance de l'histoire et singulièrement par les expériences sociales du dernier siècle. Savoir si les antagonismes de classes, le pouvoir oppressif de l'Etat et l'exploitation de l'homme par l'homme prendront fin à la longue sous l'effet du progrès technique reste matière à spéculation pure. Mais que la dictature du prolétariat exercée par le parti de Lénine ait réalisé le socialisme sur un sixième du globe et doive servir d'exemple à l'humanité tout entière, c'est ce que le dogme de Staline et de Khrouchtchev invite à vérifier, au nom de l'accord nécessaire entre la théorie et la pratique. La suppression de la police et de l'armée permanentes, l'armement général du peuple, la création d'une milice populaire englobant hommes et femmes valides de 15 à 65 ans pour assurer l'ordre socialiste, ces conditions préalables posées par Lénine n'ont jamais existé que sur le papier. Au contraire, nulle part on n'a vu police plus énorme, plus secrète, plus arbitraire, plus meur-
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