B. SOUV ARINB des proudhoniens et des blanquistes, non par des marxistes, lesquels n'existaient guère à l'époque et pas au sens ultérieur du terme. Il déplore le « cri bourgeois » que traduit le titre du journal de Blanqui : la Patrie en danger, car patriotisme et socialisme, dit-il, sont « deux objectifs contradictoires» qui « furent l'erreur fatale des socialistes français». Il croit que sous la Commune « le pouvoir passa au prolétariat », puis il corrige en disant que « le rôle principal fut naturellemement joué par les ouvriers (surtout par les artisans parisiens) », sans y regarder de trop près. Il se trompe évidemment quand il résume : « ••• Le prolétariat assuma deux tâches : libérer la France de l'invasion allemande et affranchir les ouvriers du joug du capitalisme en instaurant le socialisme. La réunion de ces deux tâches constitue le trait original de la Commune.» En fait, au commandant allemand qui avait écrit le 21 mars que ses troupes « ont reçu l'ordre de garder une attitude amicale et passive, tant que les événements dont l'intérieur de Paris est le théâtre ne prendront point, à l'égard des armées allemandes, -un caractère hostile et de nature à les mettre en danger », Paschal Grousset, délégué du Comité central aux Affaires extérieures, répondait le 22 mars : « ••• La révolution accomplie à Paris par le Comité central ayant un caractère essentiellement municipal n'est en aucune façon agressive contre les armées allemandes. » Les choses n'étaient donc pas aussi simples que ne le supposera Lénine. Quant à l'instauratton du socialisme dans une France paysanne, comment aurait pu y prétendre Paris « devenu ville libre» et dont la« puissante centralisation n'existe plus » ? ( expressions de la déclaration parue au Journal officiel de la Commune, 20 mars). Le Comité central proclamait que « l'œuvre première de nos élus devra être la discussion et la rédaction de leur charte, de cet acte que nos aïeux du moyen-âge appelaient leur commune », lit-on au Journal officiel du 27 mars. Le même jour, la section parisienne de l'Association internationale des travailleurs dénonçait « l'insolidarité des intérêts » comme cause de la guerre civile et prônait : « C'est à la liberté, à l'égalité, à la solidarité qu'il faut demander d'assurer l'ordre sur de nouvelles bases... » Retour à une tradition médiévale et répudiation des antagonismes de classes auraient composé un socialisme original. Lénine ne tient aucun compte des raisons qui opposaient résolument Marx et Engels à toute révolution prématurée, sous prétexte que devant le fait accompli, ils surent renoncer à leurs objections de principe. Mais si leur attitude prouve qu'ils n'étaient pas les doctrinaires secs que trop de gens imaginent, que ces matérialistes restaient à leur corps défendant des idéalistes incorrigibles, ce qui est tout à leur honneur, il n'empêcheque les raisonsvalablesavantl'insurrection ne perdaient rien de leur valeur. « Pas Biblioteca Gino Bianco 255 d'action de l'Internationale jusqu'à la conclusion de la paix», écrivait Engels à Marx en septembre 1870, citant l'ouvrier parisien Eugène Dupont en l'approuvant, en désapprouvant les « têtes folles ». Il ajoutait : « Avant la paix, nous ne pouvons absolument rien faire, et après la paix, ils [les ouvriers] auront tout à fait besoin d'un certain laps de temps pour s'organiser.» Dans une autre lettre, il répète peu après que si les ouvriers « enlevaient le pouvoir maintenant, ils recueilleraient la succession de Bonaparte et de la République bourgeoise actuelle. Ils seraient battus sans aucune utilité par les armées allemandes et cela les retarderait de vingt ans.» Le revirement sentimental des deux commentateurs, après coup, ne créait certainement pas les conditions requises selon eux pour instaurer le socialisme. D'ailleurs Lénine cite Marx : « La Commune a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant les deux grandes sources de dépenses : l'armée permanente et le fonctionnarisme» (bourgeoises, et non pas socialistes). Mais si la Commune avait duré plus de trois mois et, surtout, si contre toute vraisemblance son exemple s'était généralisé dans toute la France, que serait-il advenu de ces réformes ? Lénine ne s'embarrasse pas de telles questions, il ne retient que l'abolition éphémère de l'armée permanente et du fonctionnarisme. Il convient, d'autre part, qu'en France, « pays de petite bourgeoisie (artisans, paysans, boutiquiers, etc.) ...il n'existait pas de parti ouvrier», etc. Comme tant d'autres il reprend à son compte les critiques de Marx : la Commune aurait dû nationaliser la Banque de France et <c il eût fallu marcher aussitôt sur Versailles », méconnaissant que le gouvernement se serait sans nul doute replié plus loin et que Paris n'aurait pu vaincre l'armée ni la France paysanne. De toute façon, avoue-t-il, « pour qu'une révolution sociale puisse triompher, deux conditions au moins sont nécessaires : des forces productives hautement développées et un prolétariat bien préparé. Mais en 1871, ces deux conditions faisaient défaut.» Néanmoins, la Commune offre au monde un modèle dont les révolutions à venir doivent s'inspirer : après tant de prémisses bien fragiles ou inconsistantes, on en arrive à la thèse cardinale de Lénine, celle qui va servir de critère pour juger du socialisme de Staline et de ses épigones. « LA COMMUNEremplaça l'armée permanente, ·' instrument aveugle des classes dominantes, par l'armement général du peuple » ; elle cc décida que le traitement de tous les fonctionnaires (...) ne devait ..pas dépasser le salaire normal d'un ouvrier » : à œs traits distinctifs, Lénine discerne cc un type supén·eur d'Etat démocratique( ...) qui, selon l'expression d'Engels, cesse déjà., sous certains rapports, d'être un Etat, n'est plus un Etat au sens propre du terme ». Les Soviets de 1917 représentent cc un nouveau
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