Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

254 moyens de production s'est affirmée comme la base inébranlable de notre société soviétique. » « Toutes les classes exploiteuses ont été liquidées », poursuivait-il ; « le prolétariat de l'URSS est devenu une classe absolument nouvelle (.•.) qui oriente la société soviétique dans la voie du communisme ». S'il y a encore une classe ouvrière, des paysans et des intellectuels, «les contradictions économiques entre ces groupes sociaux tombent, s'effacent (...). Tombent et s'effaçent également les contradictions politiques qui existaient entre eux. » De même ont disparu les rivalités nationales : « Nous avons aujourd'hui un Etat socialiste multinational parfaitement constitué., qui a triomphé de toutes les épreuves et dont la solidité peut faire envie à n'rmporte quel Etat fondé sur une seule nation, de n'importe quelle partie du monde. » Bref, cc notre société soviétique a d'ores et déjà réalisé le socialisme dans l'essentiel; elle a créé l'ordre socialiste, c'est-à-dire atteint ce que, en d'autres termes, les marxistes appellent la première phase ou phase inférieure du communisme. Cela veut dire que la première phase du communisme, le socialisme, est déjà réalisée chez nous, dans l'essentiel. » Et encore : «Le socialisme, pour !'U.R.S.S., est ce qui a déjà été obtenu et conquis.» La nouvelle Constitution cc part de la liquidation de l'ordre capitaliste, de la victoire de l'ordre socialiste en U.R.S.S.» où «il n'existe plus de classes antagonistes». Telles sont les assertions principales maintes fois répétées avec de rares variantes dans les trente-six pages de ce rapport «historique». Elles ne prêtent point à malentendus ni contestations. Il n'est donc pas vrai que l'adoption du nouveau programme du Parti en 1961 marquât la ligne de démarcation entre deux «phases » du communisme, l'inférieure et la supérieure, le socialisme étant la phase inférieure ou première. On pourrait même prouver que les dirigeants soviétiques considéraient leur « système » comme socialiste « dans l'essentiel » bien avant la Constitution de 1936. Toujours est-il que ce socialisme a fait ses preuves durant plus d'un quart de siècle et que, pour le juger selon ses propres principes, il faut le comparer aux idées maîtresses de Lénine qu'aucun communiste ne récuse. Précisément les Editions en langues étrangères de Moscou ont publié récemment en français un recueil fort opportun d'écrits de Lénine, extraits de divers ouvrages, ayant trait à la question ici traitée, la seule qui importe à vrai dire, car l'expérience socialiste ou communiste qui se propose en exemple à l'univers n'a d'exemplarité qu'en tant que réali~ation du socialisme préludant au communisme. Construire des maisons, des usines et des barrages, produire des voitures, des tracteurs et des transistors, voire des fusées et des satellites, cela ne définit pas un système social. Il y eut différentes conceptions du socialisme avant celle de Staline, avant le national-socialisme d'Hitler, avant le socialisme Bibl.ioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL arabe de Nasser. Celle de Lénine, que revendiquent Khrouchtchev et consorts, est très explicite dans ses commentaires sur La Commune de Paris, titre du recueil qui vient de paraître, et dans ses vues sur l'Etat d'après les «enseignements » de Marx et d'Engels. On doit s'y référer, encore que la démonstration ne sera pas nouvelle, mais le petit livre édité à Moscou • sort à propos pour confondre les religionnaires du «marxisme-léninisme», à la veille d'un anniversaire à grand spectacle. LE CULTE de la Commune parisienne de 1871 fait partie de la religion marxiste-téniniste et ne souffre pas de restriction dans les pays où elle est .érigée en religion d'Etat. La source de ce culte remonte à Marx et à Engels par l'intermédiaire de Lénine, mais les deux apologistes de la Commune en son temps ne prévoyaient pas que leur défense de l'insurrection vaincue allait dégénérer en légende, puis en dogme. Ils n'avaient pas ménagé leurs critiques aux Parisiens avant l'événement, ils n'écoutèrent que leur sentiment de solidarité devant le fait accompli : le cœur a ses raisons. Mais ils ont doctriné en l'idéalisant l'action des Communards en des termes qui ne résistent guère à l'examen rétrospectif et dont Lénine n'a peut-être retenu que la lettre au lieu d'en sais~rl'esprit. On était assez mal renseigné à Londres sur la Commune quand Marx écrivit en quelques heures La Guerre civile en France au nom de l'Internationale, « adresse » fameuse qui, aussitôt après la semaine de Mai, exaltait l'épisode révolutionnaire et tentait d'en dégager la «portée historique». Incontestablement cet écrit éloquent, passionné, si remarquable à maints égards, est à l'origine de la ferveur avec laquelle toutes les écoles socialistes commémorent depuis bientôt cent ans l'anniversaire de la Commune. Dans son Introduction de 1891 à la réédition de l' Adresse, Engels restait encore fidèle aux idées qu'il partageait avec Marx lors de la rédaction du document collectif. Quant à Lénine, il n'a guère pris la peine d'étudier la Commune en elle-même, se bornant d'abord à puiser dans .Marx (p.on seulement dans La Guerre civile en France, mais dans les Lettres à Kugelmann qu'il a préfacées) les arguments dont il avait besoin pour polémiser avec Plékhanov après la révolution russe de 1905. Ces arguments s'emparent de sa pensée au point de se confondre avec elle et il en fera une pièce fondamentale de son credo en pleine révolution de 1917. Lénine n'ignorait pas que Marx et tout le Conseil général de l'Internationale envisageaient !'.éventualité d'une insurrection à Paris comme un~ A« folie », six mois avant qu' e~e ne se prod~s1t. Et que la Commune fut influencée par * En vente à la Librairie du Globe, 21, rue des Carmes, Paris. Ce qui suit peut tenir lieu de compte rendu analytique et critique du recueil (no pp.).

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