QUELQUES · LIVRES Statistiques défaitistes UNE CARACTÉRISTIQUE de notre âge prétendu scientifique, c'est une extrême superstition et un manque total de sens critique. Il a produit un grand nombre de savants, de techniciens et d'administrateurs excellents dans leur domaine propre, mais qui, cependant, dès qu'ils en sortent, font preuve d'une crédulité bien plus grande que celle de nos devanciers, moins instruits mais plus perspicaces. Leur intérêt pour le surnaturel étant en général plus que limité, c'est sur l~s affaire~,de ce _monde, en particulier la politique et 1economie, que ces hommes, d'ailleurs intelligents, reportent leurs superstitions. Par exemple, il est presque unanimement admis par des gens cultivés - simplement parce qu'ils l'ont ouï dire - qu'aucune conséquence écono- ~que néfaste ne ré~ulte d'une imposition excessive_;que les deux tiers du monde ont faim ( affirmation de Lord Boyd Orr qui n'était qu'une simple erreur d'arithmétique); et encore qu'en U.R.S.S. la productivité s'accroît beaucoup plus vite qu'aux Etats-Unis, si bien que c'est l'affaire de quelques années pour que ceux-ci soient rattrapés. Cette dernière vue est un credo quasi général et a été exposée par mainte autorité, y compris les porte-parole du gouvernement américain et de ses services de renseignements. A y regarder de près, les preuves avancées se révèlent des plus fragiles. La plupart d'entre elles se fondent sur la période 1948-53, alors que l'Union soviétique se remettait des effets de l'invasion allemande. Tous les parents le savent, un enfant gravement malade perdra beaucoup de poids ; dès qu'il commence à se rétablir, le poids augmente plus rapidement qu'en période ordinaire, jusqu'à ce que l'enfant ait atteint le poids correspondant à son âge, après quoi la croissance reprend son rythme normal. Que penser d'un médecin qui pèsei:ait_un e~ant pendant . sa convalescence, inscrirait les chiffres sur un diagramme et prédirait alors que l'enfant continuera de grossir à cette allure pour dépasser le poids de son père à la fin de l'année ? C'est pourtant ce que font Bi·blioteca Gino Bianco beaucoup d'économistes, qui rallient le public à leur point de vue. La question à poser, maintenant que la reconstruction d'après guerre a pris fin, est : où en est la production soviétique par rapport aux années 30, aux années 20, et même à la période prérévolu- ?onn~e ? (Il est juste ~e signaler que des erreurs identiques sont commises par les économistes qui se font les avocats enthousiastes de l'Allemagne et du Japon. Les gouvernements actuels de ces pays méritent des éloges, mais leur dossier économique passe souvent pour plus brillant qu'il ne l'est en réalité.) Jusqu'à ces temps derniers, nous étions seuls, le professeur Nutter (dans quelques articles publiés par l' American Economie Review) et nous~même (The Real Productivity of Soviet Russia, éd. du Sénat des U.S.A.), à critiquer la croyance selon laquelle l'Union soviétique aurait un taux de croissance économique si élevé qu'elle devrait sous peu dépasser les États-Unis. L'un et l'autre, nous avons conclu qu'en Union soviétique la croissance de la productivité est en réalité plus faiblt: qu'aux États-Unis; et qu'en consé- ~uence, lom de rattraper ceux-ci, l'Union soviéaque prend graduellement du retard. Qui plus est, nos conclusions respectives furent tirées de deux méthodes entièrement différentes. La nôtre consistait à évaluer en dollars actuels chaque élément du produit national soviétique - conso!11Dlationi,nvestissements nets, dépenses militaires, etc. Nutter, de son côté, travaillait à partir des statistiques de production détaillées des industries d'extraction et de transformation. Cep~n<:IanJnotre étude provisoi~e est largement eclipsee par deux nouveaux livres importants récemment parus : Soviet Industrialization 1928-52 par Naoum Iasny, et The Real National Income of· Soviet Russia since 1928 par Abram Bergson. , N. Iasny, octogénaire alerte, a pris part à la r~volution russe comme socialiste (non commuruste). Quelques années plus tard, il put émigrer et devint citoyen américain. C'est depuis longtemps un critique redouté du Kremlin, notamment en matière de politique agricole.
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