Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

M. COLLINET CESERAITdépasser les limites de cette étude que de situer Joachim de Flore dans les courants de la pensée universelle, au-delà des tendances millénaristes ~e son époque. Le système trinitaire est commun aux religions indo-européennes au même titre peut-être que la tripartition des fonctions sociales; il appartient au néo-platonisme dont le Moyen Age était pénétré. Kant, avant Hegel, pensait que la trichotomie est une idée inhérente à toute raison humaine tendant à la synthèse. Avant Bossuet, Joachim a voulu écrire l'histoire conformément aux Écritures, et il a affirmé, avant Hegel, qu'elle est une logique de l'esprit. Ses analogies explicatives ne sont pas plus arbitraires que celles de Hegel prouvant que l'histoire du monde, loin d'être le verdict d'une destinée aveugle, cc correspond au développement nécessaire des moments de la raison, suivant le concept même de la liberté de l'esprit» 15 • Le parallèle entre Joachim et Hegel peut se poursuivre au niveau de chaque état. Sous le règne de l'Ancien Testament, défini par Joachim comme celui de la foi, Hegel décrit la conscience dédoublée, donc malheureuse, en même temps changeante et immuable. Cet immuable, ellel'extériorise en un Dieu qui lui est étranger et elle ne peut concevoir son repos que dans un au-delà. Dans le christianisme, le Dieu immuable de Hegel descend dans la conscience grâce à l'incarnation 1~. Philosophie du droit, § 342. Biblioteca Gino Bianco 301 qui le fait apparaître comme une existence particulière 16 • De cette union résulte ce que Joachim nomme un affranchissement partiel. L'affranchissement total, qu'il place dans le troisième âge de !'Esprit, Hegel le met dans le troisième moment, celui du savoir absolu, où le particulier se spiritualise. Alors cc l'homme est plus qu'un temple » (Hegel), et aucun culte n'est désormais nécessaire. Dans la contemplation joachimite, il y a fusion entre la divinité et l'humanité. Dans la démarche hégélienne, la conscience, devenue joyeuse, atteint à la religion absolue. Ces indications rapides sur la valeur universelle des intuitions mystiques de l'abbé de Flore laissent de côté le problème humain de la permanence des aspirations messianiques que Joachim a voulu, dans l'ambiance apocalyptique de son temps, interpréter par l'Évangile éternel. Le nouveau christianisme de Saint-Simon, le règne de la Justice de Proudhon, la société sans classes de Marx, etc., sont les manifestations modernes les plus célèbres d'un sentiment qui a sa source dans les archétypes les plus reculés de l'humanité. MICHEL COLLINET. 16. Sur cette dialectique de la conscience malheureuse qui se trouve dans les Ecrits théologiques, la Phénoménologie de !'Esprit et la Philosophie de la religion, cf. l'ouvrage de Jean Wahl : Le Malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel.

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