M. COLLINET par le pape des vœux dont le joug lui avait été intolérable, il fonda, avec l'appui du roi de Sicile, l'abbaye de Flore dans les montagnes de la Calabre. En 1191, appelé en consultation par Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion, il leur prédit l'échec de la croisade. Cela lui valut l'inimitié d'une grande partie du clergé; cependant, il s'était taillé une telle réputation de saint, de faiseur de miracles et de prophète auprès des populations italiennes que cela suffit à le protéger de ses ennemis. Les papes le défendirent jusqu'à sa mort et, sans trop en remarquer les tendances hérétiques, ils accueillirent ses œuvres avec sympathie. En dehors de textes perdus, celles-ci comprennent trois ouvrages importants : La Concorde, ou Livre de la concordance entre les deux Testaments; une Explication de l' Apocalypse; Le Psaltérion à dix cordes, lequel contient sa thèse sur la Trinité. Ses œuvres furent connues de ses disciples sous le titre d' Évangile éternel et imprimées à Venise en 1519 et 1527 4 • ANS La Concorde, Joachim expose son D interprétation de l'histoire · chrétienne à travers celle des deux Testaments. Chacun d'eux est lié à un état historique et il existe une concordance systématique entre les événements et les hommes de ces deux états. Il ne s'agit pas de répétitions (l'histoire ne se répète pas à la manière des grands cycles chaldéens ou stoïciens), mais d'une « similitude » prise au sens platonicien 5, c'est-à-dire d'une égalité de rapport entre deux événements ou deux hommes. « Ainsi, écrit Joachim, pour choisir des exemples, Abraham et Zacharie, Sara et Elisabeth, Isaac et Jean-Baptiste, Jésus, considéré dans son humanité, et Jacob ; ainsi les douze patriarches et les douze apôtres» (p. 42). Comme tous les personnages ont une valeur symbolique, il est évident que la similitude ainsi exprimée est toujours allégorique : les jours signifient des années ; les semaines, des siècles ; une personne, une foule ou une nation. « Abraham, qui est un seul homme, signifie, dans un sens allégorique, toute la lignée des patriarches, (...) Sara est une seule femme et elle symbolise la Synagogue » (p. 44). En même temps, le parallèle peut se spiritualiser par le moyen de l'allégorie. Ainsi le patriarche Isaac engendra Jacob charnellement, mais le baptême de Jésus par JeanBaptiste, acte semblable dans le symbolisme joachimite, est une génération spirituelle. Enfin, 4. Aegcrter en a traduit en français de larges extraits sous le titre L'Évangile éternel, 2 vol., Paris 1928. Le premier tome est une biographie; nos citations sont tirées du tome II. s. "NoUI disons que la concordance est à proprement parler une similitude de proportions égales qui s'établit entre le Nouveau et l'Ancien Testament. ,, (Trad. Aegertcr : L'Évangile ,ternel, t. Il, p. 41.) Biblioteca Gino Bianco 297 chaque personnage, lieu ou événement esr surdéterminé et symbolise, suivant l'usage qui en est fait, les êtres ou les choses les plus divers. Par exemple, Sara change de signification suivant qu'elle est associée avec tel ou tel personnage. Avec Rébecca, qui désigne l'Église naissante, Sara est la Synagogue réprouvée. Au contraire, elle symbolise le Nouveau Testament quand la servante Agar symbolise l'Ancien. Joachim, dont l'ingéniosité paraît illimitée, avoue néanmoins que la concordance primitivement établie par la sagesse de Dieu peut être brisée par la malignité des hommes, ou plus exactement remplacée par une autre. Ainsi Zacharie, par son incrédulité, rompit sa concordance avec Abraham qui croyait à la naissance future de son fils. Mais au mutisme de Zacharie dans l'Évangile répond la cécité de Tobie dans l'Ancien Testament, et tous deux symbolisent l'incrédulité envers les messagers de Dieu. Chacun des Testaments représente un état historique lié à l'autre par le principe de la similitude allégorique. Ils doivent être suivis d'un troisième état, dont la clé se trouve dans l'Apocalypse de Jean. Pour le prévoir, il faut donc déchiffrer l'Apocalypse et y retrouver les concordances avec les deux Testaments : Le premier de ces trois états du monde s'est déroulé sous le règne de la foi, alors que le peuple élu, encore faible et dans l'esclavage, n'était pas capable d'arriver à l'affranchissement. (...) Le second état fut instauré par l'Évangile et dure jusqu'à l'heure présente, apportant à la vérité affranchissement au regard du passé, mais nullement au regard de l'avenir 6 • L'état du Père est celui de la Loi et de la circoncision ; celui du Fils représente, par l'instauration de la Grâce, un demi-affranchissement. Le troisième état sera celui du Saint-Esprit. « Là où est !'Esprit, là est la liberté » (Paul : Cor., II, 3, 17), et Joachim ajoute : Le troisième état s'ouvrira vers la fin de ce siècle où nous sommes. Déjà nous l'apercevons qui se dévoile en plein affranchissement spirituel (Ibid., p. 91). Or, cet état futur doit, conformément à un calcul de générations, arriver 42 générations (six sceaux de chacun sept générations) après la naissance du Christ, ce que Joachim fixe à l'année 1260, c'est-à-dire 70 ans après son texte. Ce nombre de 1260, il le retrouve dans celui des jours séparant le veuvage de Judith du meurtre d'Holopherne (qui devait sauver le peuple d'Israël). Et la chaste Judith, vivant cachée des hommes, trouve son correspondant dans la femme mystérieuse de l'Apocalypse qui s'enfuit 1260 jours dans le désert pour y être nourrie spirituellement. Ces deux femmes symbolisent la vie contemplative et cénobitique des ermites 6. Explication de /'Apocalypse, chap. v, p. 90.
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