Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

274 Toute mesure, dit la Constitution, par laquelle le président de la République dissout ou proroge l'Assemblée, ou met obstacle à l'exercice de so~ mancI:1~,est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le pres1dent est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale ; les juges de la haute cour de justice se réunissent immédiatement, à peine de forfaiture ; ils convoquent dans le lieu 9-u'ils désignent, pour procéder au jugement du préside.nt et de ses complices ; ils nomment eux-mêmes le magistrat chargé des fonctions de ministère public. Vaines précautions, et plus dangereuses e1?-core que vaines! Se préparer à vaincre le pouvoir au besoin, c'est l'encourager d'avance à se rendre invincible; et, lorsque, au lieu de se ménager le moyen de le faire rentrer dans l'ombre sans le frapper, on s'expose à l'inconvénient de le frapper, pour le réduire, on met le destin du Peuple au hasard d'un coup de main ou d'un coup d'État. Rien de pis que de forcer les hommes puissants à chercher leur sûreté dans l'agrandissement même de leur puissance. Si vous les menacez, après les avoir imprudemment ~rm~s contre v?s mena~es, gardez qu'ils ne se _refug1entdans l 1;1,surpatton. Pour qu'on n'ose rien contre eux, ils oseront tout contre la liberté. . . . . . . . . . . . . .. . . . .... . . . ... .. . . . . . . . . .. . . . . Il faut tout dire : en Amérique, on a le congrès d'un côté, un président de l'autre, sans aucun des dangers que je signale. Mais d'où cela vient-il ? De ce qu'au lieu d'être à peu près indépendant comme celui que vient de créer la Constitution française de 1848, le pouvoir exécutif, en ~érique, est complètement subordonné à la pwssance législative. C'est au point que le président n'a pas même le droit de nommer d'une manière absolue aux emplois publics, dont 1~ nomb,re, d'ailleurs, est beaucoup plus restremt qu en France. Pour ce qui est des hautes prérogatives du président des États-Unis, ainsi que l'a très bien observé M. de Tocqueville, elles sont tellement paralysées par le milieu environnant, que là où les lois permettent au président d'être fort, les circonstances le maintiennent faible. En Amérique, chaque État nomme un c,e~ain nombre d'électeurs, lesquels à leur tour elisent le président; d'où il résulte que le président des États-Unis n'est, après tout, que le représentant d'une sorte de souveraineté médiate et circonscrite. Le pouvoir exécutif, aux États-Unis, n'est donc ni assez indépendant ni assez fort pour se mesurer avec le pouvoir législatif et précipiter ainsi la République dans l'anarchie. Le danger n'est pas là pour les Américains ; il serait plutôt dans le caractère fédératif de leur constitution, dans la division de la législature en deux assemblées, l'une personnifiant,. sous le nom de Chambre des représentants, le principe de l'Union; l'autre, destinée à sauvegarder, sous le nom de Sénat, le principe rival de l'indépendance des États confédérés. . .. . ... .. . . . . . . . ....... .. . . . . . . .... . ..... . . Bi·b.liotecaGino Bianco PAGES OUBLIÉES Si le président de votre ~ép~blique, p~ exem~le, ressemble trop à un roi ; s1son pouvoir ne diffère de celui d'un roi que par une durée nominale et une responsabilité dérisoire ; s'il est soumis, comme un roi, à la tentation d'appuyer ses prérogatives honorifiques sur des prérogatives réelles ; si, rendu indépendant de l'Asse~- blée, il est conduit, comme un roi, à en deverur l'ennemi; ·si, en un mot, son fauteuil est à la hauteur d'un trône ..., alors reparaissent tous les inconvénients signalés plus haut ; alors revient la question, la terrible question de savoir comment on réprimera les é_carts~u chef de l'Éta~;.Inv~quer les lois contre lw serait peu efficace sil dispose des baïonnettes, et engager le combat est hasardeux, parce que c'est arrêt~r les ~air~s. à l'in~érieur, bouleverser les relations à 1 exter1eur, dissoudre momentanément la société. Pour caractériser un semblable état de choses, je ne sais qu'un mot, et ce mot, c'est ana~chie ! - La, présidence est une institution qui peut devenir plus funeste que la royauté elle-même. - La monarchie déconcerte les ambitions : la présidence à conquérir les met en mouvement et les irrite. Si l'espoir d'obtenir la neuf centième partie* de la puissance qu'exerce une assemblée suffit pour exciter tant de brigues, pour remuer tant de passions, jusqu'où nç s'emportera pas le désir d'être salué chef de l'Etat ? Celui· que sa naissance appelle au trône n'a point à s'ouvrir un chemin à travers le peuple agité. Le besoin d'avoir des créatures ne lui coûte ni tentative factieuse ni effort sanglant. Le hasard, qui le dispense de mériter le pouvoir par des vertus, le dispense aussi de l'acquérir par des intrigues. Sans qu'il ait à s'en inquiéter, sans qu'il y songe, il verra venir à lui une foule impatiente d'obéir. Pourquoi prendrait-il par ruse ou par violence ce qu'il possède avant même d'avoir étendu la main ? La fortune s'est chargée de lui faire d'avance des partisans, qu'il a trouvés se pressant autour de son berceau, et il a commencé de régner dans le ventre de sa mère! Convention bizarre assurément! convention humiliante pour l'espèce humaine, mais qui peut, du moins, ne . pas troubler la société qu'elle abaisse. ' Dans la question de la présidence, rien de semblable. Ici, le succès ne saurait être qu'au prix d'efforts prodigieux, à moins qu'on ne soit un de ces hommes que Napoléon peignait à Sainte-Hélène, en parlant de lui-même: puissants mortels, choisis par la destinée pour tenir, à certains moments donnés de l'histoire, la place d'un peuple, et vers lesquels, dès qu'ils se sont montrés, chacun se tourne en criant : « Le voilà! » (.~.) Au milieu d'une société où les intérêts sont si divers et les relations si compliquées, • « Le nombre des représentants s'élèvera à 900 pour les assemblées qui seront appelées à réviser la Constitution » (art. 22 de la Constitution de 1848).

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