LOUIS BLANC universel ne sera pas invoqué, avec un égal avantage, et par l'Assemblée contre le président, et par le président contre l'Assemblée ? Voilà donc les signes vivants de la légitimité obscurcis, la fixité dans le pouvoir détruite, les décisions de la volonté générale l'une par l'autre annulées, la souveraineté du Peuple mise en contradiction avec elle-même, le gouvernement devenu tout à coup une aventure! Mais, quand la guerre civile est dans les idées, les passions ne tardent pas à la faire descendre dans la rue. C'est à quoi nos législateurs n'ont pas pris garde : légèreté déplorable, d'où peuvent résulter des calamités sans nombre! Car, lorsque le pouvoir flotte au hasard entre un homme et une assemblée, on peut tenir pour certain que cette assemblée porte avec elle un I o août, et que cet homme a derrière lui un 18 brumaire. - La présidence, appuyée sur le suffrage universel, risque d'installer au sommet de l'Etat ... l'anarchie. (...) De quel vertige ont donc été saisis les inspirateurs de cette Constitution, si pleine d'inconséquences et de périls ? Évidemment, la tête leur a tourné ; la main leur a tremblé ; au milieu de ce grand bruit d'armes et de chevaux dont ils ont souffert que le sanctuaire des lois fût rempli, ils n'ont eu, des choses de l'avenir, qu'une perception confuse ; le trouble de leur cœur est monté jusqu'à leur intelligence; ils n'ont su mettre de la décision, ni à retenir l'unité du ~pouvoir, ni à en régler le partage, et ils ont codifié l'anarchie. Oui, l'anarchie! car, avec un président de République et une Assemblée, la société se trouve avoir deux têtes. Et comment, dès lors, la vie de cette société pourrait-elle ne pas être incertaine, désordonnée, pleine de déchirements et de luttes ? En France, (...) tous nos troubles politiques, depuis un demi-siècle, ont eu leur source dans le système qui consiste à faire du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif deux autorités rivales. . . ..... . . . . . . . . . . . . . . ..... . .. . .. . . . . . . . . . .. Si donc on a l'imprudence de rendre le pouvoir exécutif tout à fait indépendant, si on l'investit d'une force qui lui soit propre, il importera peu qu'on l'appelle présidence ou royauté; on aura exp?sé l'Etat aux fureurs du plus violent antagorusme. La grande difficulté, soit sous les monarchies, soit sous les républiques, est de trouver un moyen régulier, pacifique, d'enlever au eouvoir exécutif la force dont il lui arriverait d abuser. Benjamin Constant, dans son Cours de politique constitutionnelle, rarpelle que les Crétois avaient inventé une sorte d insurrection légale par laquelle on déposait tous les magistrats, et Fdangieri les en loue. Mais le danger d'une répression de ce genre, c'est qu'elle pouvait aisément se transformer en despotisme. A Rome, la loi de Valérius Publicola permettait de tuer quiconque, dans Biblioteca Gino Bianco 273 l'exercice d'une magistrature, aurait attenté à la liberté de la République, remède cent fois pire que le mal! car c'était mettre le repos de tous à la merci des passions, de l'ignorance, du fanatisme de chacun. Un meurtre est toujours une usurpation. L'essentiel serait donc, non pas de placer le pouvoir exécutif sous le coup d'une répression formidable, mais de lui créer une dépendance qui dispensât de l'obligation de le réprimer. Or, c'est justement le contraire qui se voit dans la Constitution de 1848. Aux termes de cette Constitution, le président de la République se trouve investi des pouvoirs les plus étendus. Il participe au pouvoir législatif, par le droit de présenter des projets de loi; Il dispose de la force armée ; Il négocie et ratifie les traités ; Il a le droit de faire grâce ; Il nomme et révoque les ministres ; Il nomme et révoque, en conseil des miniscres, les agents diplomatiques, les commandants en chef des armées de terre et de mer, les préfets, le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, les gouverneurs de l'Algérie et des colonies, les procureurs et autres fonctionnaires d'un ordre supérieur. Il nomme et révoque, sur la proposition du ministre compétent, dans les conditions réglementaires déterminées par la loi, les agents secondaires du gouvernement. Il a le droit de suspendre, pendant un temps déterminé, les agents du pouvoir exécutif élus par les citoyens. Je sais bien qu'à l'exercice de tous ces droits la Constitution de 1848 a soin de mettre des conditions restrictives. Ainsi, le président de la République ne pourra, d'après la Constitution, ni commander en personne la force armée, ni céder aucune portion du territoire, ni dissoudre ou proroger l'Assemblée nationale, ni suspendre l'empire des lois. Mais quoi! Opposer de pareilles entraves à un pouvoir qu'on a rendu assez fort pour s'en jouer, n'est-ce pas une contradiction folle ? Comment n'a-t-on pas vu qu'ici on donnait à la fois trop et trop peu au président de la République, pour qu'il ne fût pas tenté d'acquérir davantage ? Se peut-il que le désir d'us~er ne vienne pas tôt ou tard à qui croit en avoir la puissance ? Un homme qui s'appuie sur le suffrage universel, qui dispose de l'armée, qui distribue les emplois, ne se laissera-t-il pas aller aisément à regarder la Constitution comme une de ces toiles d'araignée qui arrêtent les moucherons, mais à travers lesquelles les mouches passent en les brisant ? Peut-être, à cet égard, se trompera-t-il; mais enfin l'erreur est assez naturelle pour être prévue. Et cette erreur, qu'enfanterait-elle ? L'anarchie.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==