Pages oubliées LA PRÉSIDENCE ET LE SUFFRAGE UNIVERSEL par Louis Blanc Les pages qui suivent, amputées de nombreuses allusions d'époque, sont· extraites d'un article publié dans le Nouveau Monde du 15 juillet 1849, où Louis Blanc développe les idées qu'il avait eu l'intention d'exposer, l'année précédente, à l'Assemblée constituante. Il ne put participer aux débats sur la Constitution, votée définitivement le 4 novembre 1848, car le 25 août l'Assemblée avait décidé des poursuites contre lui sous prétexte qu'il aurait participé à la tentative d'insurrection du 15 mai, en réalité pour frapper le théoricien socialiste et le ministre du Gouvernement provisoire. Le 26 août, Louis Blanc, échappant à l'arrestation, gagnait l'Angleterre. La discussion sur la Constitution s'ouvrit le 5 septembre et l'article 43, qui règle l'élection du président de la République au suffrage universel, fut voté le 9 octobre par 627 voix contre 130. Trois ans après, ce fut le 2-Décembre. JE ME PROPOSE de prouver : Que l'élection d'un président de la République par le Peuple tend à décrier le · suffrage universel, en le mettant en contradiction avec lui-même ; Que la Présidence, appuyée sur le suffrage universel, risque d'installer au sommet de l'Etat l'anarchie; · Que la Présidence enfin est une institution qui peut devenir plus funeste que la royauté elle-même. - L'élection d'un président de la République par le Peuple tend à décrier le suffrage universel, en le mettant en contradiction avec lui-même. C'est une inconséquence singulière et pleine de qiécomptes que d'aspirer à des réformes politiques d'une haute portée lorsqu'on repousse toute réforme sociale. Les conditions du pouvoir se lient d'une manière si intime à l'état général de la société qu'il y a vraiment folie à croire Biblioteca Gino Bianco qu'on changera les bases de l'autorité publique sans toucher aux rapports des citoyens entre eux. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... . Même avant que la main des scrutateurs descendît au fond des urnes, personne ne doutait en France que Louis Bonaparte ne fût l'élu des paysans. Et pourquoi ? Parce qu'un seul nom parle à leur souvenir ; parce qu'un seul nom ouvre à leur pensée des horizons lointains et a puissance sur leur âme ; parce qu'une méchante gravure, suspendue aux murs de leurs chaumières, est pour eux toute la politique, toute la poésie, toute l'histoire. . .......................................... . [La] fixité dans le pouvoir, le plus sérieux des bienfaits qu'on doive attendre du suffrage universel, l'obtiendra-t-on lorsque le pouvoir aura été follement divisé ; lorsque, de la volonté nationale, consultée suivant des modes différents, '- on aura fait sortir deux autorités rivales ; lorsque, au risque de déchirements cruels, on aura placé face à face la souveraineté du Peuple repré- .sentée par une assemblée, et la souveraineté du Peuple représentée par un président ? Les paroles me manquent pour rendre ce qu'une pareille combinaison a de menaçant. Je sais bien qu'au moment où j'écris, le président et la majorité de l'Assemblée législative vont de conserve ; mais qui ne sent tout ce que la situation actuelle a d'exceptionnel ? (...) Une fois les choses rendues à leur cours naturel, qu'arrivera-t-il ? ............................................ , Oui, entre deux grands pouvoirs, de même origine et· de nature diverse, il est impossible que tôt ou tard une lutte ne s'engage pas. Et, alors, où sera le souverain ? de quel côté penchera l'obéissance des troupes ? de quel côté le respect du Peuple ? Est-ce que le suffrage
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