Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

V. CHU but en soi - façon de penser bourgeoise - ne doit pas être tolérée. » LORSQU'UNGOUVERNEMEeNstT incapable de remplir l'estomac de son peuple, il a encore plus de difficulté à lui laver le cerveau. Les réfugiés racontent qu'en 1960 et 1961 le manque de nourriture a provoqué dans tout le sud de la Chine des émeutes qui firent de nombreux morts. Des dizaines de milliers de paysans ont déserté le nord du Kiangsou, frappé par la famine, pour converger à la recherche de nourriture vers Changhaï, autrefois prospère. D'autres passent du Tchékiang au Foukien. Tout récemment, au cours d'un seul mois, 70.000 habitants du Kouang-toung ont cherché refuge à Hong-Kong. En décembre 1960, les ouvriers des aciéries d'Anchan et des charbonnages de Fouchoun, les plus importants du pays, se mirent en grève pour réclamer de la nourriture et du coton en guise de salaire. Plus tard, à Sian, les élèves de 38 collèges et écoles secondaires transformèrent une réunion commémorative en une « marche de la faim». Des manifestations identiques éclatèrent dans les villes du Setchouan. Dans le Honan, les soldats envoyés à la poursuite de pilleurs de greniers laissèrent délibérément s'échapper les paysans voleurs. Dans une caserne du Kiangsou, les soldats refusèrent de sortir du lit pour l'exercice du matin, en signe de protestation contre les maigres rations allouées maintenant à l'ensemble des forces armées. Et un puissant mouvement clandestin fait sentir sa présence à Changhaï, d'où sont parties la plupart des révolutions de la Chine moderne. Certes, des manifestations impulsives et des émeutes de la faim spontanées ne sont pas en mesure de mettre en péril un régime monolithique disposant d'une puissante police secrète et de forces armées considérables. Mais si la résistance ouverte n'est pas efficace pour le moment, les conditions qui la créent iront sans doute en s'aggravant. Aussi le tableau risque-t-il d'être trompeur. Nul ne le comprend mieux que Biblioteca Gino Bianco 271 les communistes chinois eux-mêmes. Pékin vient de ressusciter les bureaux politiques régionaux pour resserrer sa mainmise sur les provinces; dans les zones stratégiques, il a remplacé les miliciens par des troupes régulières ; il ne cesse de transférer le grain des communes dans les greniers plus vastes situés à proximité des villes, donc plus faciles à garder. On estime que la Chine communiste dispose de 2,5 millions d'hommes de troupes régulières et de 20 millions de miliciens. La milice ne jouit plus de la confiance des autorités, car elle fait partie du paysannat local. Près de 20 % des troupes régulières sont recrutées dans le paysannat. Les familles des militaires, qui bénéficiaient jusqu'ici de privilèges spéciaux, sont logées maintenant à la même enseigne que le reste de la population. Le moral des troupes régulières deviendra un facteur de plus en plus important si les conditions de vie des paysans ne s'améliorent pas. Parmi les paysans et les ouvriers chargés de la conservation des eaux, les plus amers sont les 10 millions de soldats démobilisés. Depuis 1958, un grand nombre de kanpou de bas échelon, envoyés dans les campagnes pour vivre, travailler et manger avec l'habitant, ont été « infectés » ; Pékin les a blâmés plus d'une fois d'avoir « peur des paysans » et a stigmatisé leur « sentimentalité fourvoyée ». Ce serait ne pas tenir compte des réalités que de négliger l'important ajustement des forces qui s'est opéré ces dernières années en Chine. Beaucoup d'Occidentaux ont tendance à juger le régime de Pékin sur la seule foi de ses mirifiques statistiques de production, sur une évaluation de sa puissance militaire, ou encore en se demandant quels tours Mao peut bien avoir dans son sac. Bien peu essaient de sonder les contre-courants de l'économie complexe de la Chine ou d'analyser les subtils remous psychologiques de ses centaines de millions d'habitants réduits au silence. Il y a pourtant là matière à réflexion pour le monde libre. VALENTIN CHU. ( Traduit de l'ànglais)

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