268 ,marée humaine reflua dans d'autres directions, pour d'autres campagnes, et les arbres moururent de soif. Pendant que la courbe du boisement montait et retombait, le déboisement allait bon train. Les incendies de forêt et les maladies des arbres ont augmenté. Le déboisement artificiel s'accroît aussi, surtout depuis 1958. Les coopératives agricoles et les communes ont fait brouter à leur bétail les arbrisseaux, elles ont abattu les arbres en bordure des routes et des forêts entières pour se procurer du bois de construction ou « ouvrir des terres vierges ». Pendant la campagne de production d'acier en 1958, beaucoup de montagnes furent complètement dépouillées pour en tirer du combustible. Une commune du Kouangtoung fit raser treize collines boisées d'un coup. Les industries du bois, dirigées par des kanpou soucieux du plan, abattirent à qui mieux mieux les arbres petits et grands sans en replanter. On ne laissa même pas les jeunes arbres pour protéger le sol, devenu vite improductif. Depuis le « grand bond en avant» de 1958, les Chinois ont été trop occupés · à fabriquer de l'acier, à creuser des canaux et à combattre les calamités pour s'inquiéter du reboisement. Et le déboisement continue à une cadence encore plus rapide, réduisant la capacité déj~ faible du sol de retenir l'humidité, étendant la zone d'érosion, augmentant l'écoulement excessif des eaux pluviales et promettant aux générations à venir des dommages plus graves résultant des inondations et des sécheresses. Le gaspillage insensé des ressources et de la main-d'œuvre en grands projets avant 1958 et le creusement de canaux depuis lors ont perturbé le régime des eaux et dégradé le sol des régions agricoles les plus riches. Ce n'est pas par hasard que les pires sécheresses des quatre dernières années ont atteint précisément les provinces où des millions de personnes avaient creusé des canaux entre 1957 et · 1959. Le cycle hydrologique du pays tout entier est maintenant bouleversé par une conservation des eaux défectueuse et par le déboisement. La Chine communiste a bien changé la nature, mais pas comme elle l'aurait voulu. EN MÊME TEMPS que la nourriture qui vient de la terre décroît, les récoltes déjà rentrées sont de plus en plus abîmées ou gaspillées. Pendant des siècles, gaspiller la nourriture a été considéré en Chine comme un péché. Aujourd'hui, une grosse quantité de nourriture est gâchée. Beaucoup de greniers sont construits au petit bonheur ; d'autres sont installés dans des temples décrépits ou des mausolées ancestraux; d'autres n'ont ni portes ni fenêtres, mais tous sont clôturés pour empêcher les vols. Une certaine année, une enquête révéla que la situation dans le stockage des· grains était grave dans sept provinces. Dans Bibl.ioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le Kouangsi par exemple, sur les 7 40.000 tonnes de grains inspectées, 83 % étaient abîmés par les vers. Un entrepôt rapporta que 10 % de ses grains étaient attaqués par le mildiou. Un autre, dans le Chansi, en avait 30 % rongés par le mildiou et 40 % germés. Les kanpou du Parti chargés du ravitaillement dans les communes ont été surnommés par les paysans les « Cinq sait pas » : ils ne savent pas combien on a récolté de grains ; combien en a été consommé ; combien il y en a à la cuisine communale; combien a été stocké dans les greniers ; combien de temps le stock durera. Lorsque la famine devint aiguë à la fin de 1960, un éditorial du Quotidien du peuple révéla que la quantité totale des réserves était inconnue. Le journal lança une campagne nationale pour peser le grain stocké : « Nous ne connaîtrons la situation réelle que si nous pesons le grain comestible recueilli et le comptabilisons clairement. » Depuis 1961, Pékin a importé des céréales. La situation réelle semble à présent connue. Le rendement de la main-d'œuvre agricole de la Chine, faible autrefois en raison de l'équipement insuffisant, a encore baissé par suite de l'épilepsie administrative de Pékin. Le paysan a toujours travaillé dur ; chacun savait ce qu'il avait à faire et comment il devait le faire, avec les moyens limités dont on disposait. Aujourd'hui, on lui dit comment labourer, à quelle époque il faut semer et ce qu'il doit planter. Il est embrigadé dans une armée de robots manœuvrée suivant une stratégie· de marée humaine et une tactique de commando. Au cours de l'hiver 1955, des millions de paysans durent construire « volontairement » des barrages et des digues. L'été suivant, quand on constata que le travail agricole auxiliaire était réduit à la moitié de la normale, ils furent renvoyés aux champs. Dans certaines provinces, le Parti ordonna à 40 % des paysans de ne pas lâcher le travail agricole auxiliaire, malgré l'extention de la sécheresse. Laissée sur pied, une grande quantité de riz et de patates douces fut endommagée par la sécheresse. Quand on s'en rendit compte, on renvoya en hâte les paysans planter · d'autres cultures vivrières. Pendant ce temps, les barrages et les digues laissés en plan étaient endommagés par les inondations. En 1958, il fut prescrit à quelque 60 millions de personnes, pour la plupart des paysans, de fabriquer de l'acier domestique, ce qui provoqua une pénurie de main-d' œuvre dans les fermes. Dans bien des régions, le sol ne fut pas fumé et le riz ne fut pas récolté à temps. Quarante pour cent des 1;erres à ensemencer dans la province de Hopéi furent laissées sans soins. En Chine septentrionale, le coton et les pommes de terre ne furent pas récoltés en temps voulu. Ailleurs, 650.000 tonnes de tabac furent cueillies mais non triées et les feuilles humides commencèrent à pourrir. Pendant trois hivers consécutifs, 70 millions de paysans reçurent l'ordre de creuser des
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