V. CHU beaucoup à désirer. Un récent éditorial du Quotidien du peuple évoquait avec nostalgie les temps du paysan précommuniste où « une houe durait trois générations (...), propriété de celui qui s'en servait, la réparait et en prenait soin». Aujourd'hui une houe dure rarement une saison, surtout quand elle est faite d' « acier » provenant des fours domestiques. Le paysan n'en est pas propriétaire, il ne la répare pas et n'en prend pas soin. Au lieu de cela, les petits instruments sont « perdus, gâchés ou détruits (...), laissés éparpillés en plein air, dans les champs où la pluie et le vent les abîment». La mécanisation comme panacée ayant échoué, Pékin a tenté sa chance avec les engrais. Chaque hiver depuis 1957, des dizaines de millions de paysans et de citadins prennent part à des « marches des engrais». Gongs sonnant, tambours battant, bannières rouges claquant au vent, chantant et marchant en formation militaire, ils transportent dans les champs leur précieuse denrée. Dans des baquets de bois, des paniers de bambou, des boîtes en fer-blanc et des pots de terre suspendus à des perches, ou bien dans des carrioles de fortune tirées par des enfants, ces brigades ont recueilli les excréments de 700 millions d'êtres humains et des 265 millions d'animaux domestiques, sans· parler de la boue des égouts, des ordures, de la vase des rivières, de la tourbe, des cendres, de l'eau saumâtre et des déchets industriels. Dans toute sa bizarrerie, la campagne des engrais est destinée à compenser une déficience agricole réelle. La Chine communiste produit moins de 3 millions de tonnes d'engrais chimiques par an ; il lui en faut au moins dix fois autant. Pékin ne pouvant se permettre de construire suffisamment d'usines d'engrais modernes ou d'importer des engrais de l'étranger, il lui faut s'en remettre largement au compost. La population restitue chaque jour à la terre, sous forme de fumier, plus de 700 tonnes de phosphore, 1 .200 tonnes de potassium et une grande quantité d'azote. Or les excréments humains et animaux, l'engrais vert et la vase des rivières sont utilisés depuis quarante siècles. Ainsi la campagne des engrais n'a pas vraiment augmenté la fertilité, bien que la pratique qui consiste à mélanger au compost des ingrédients de toute sorte ait augmenté le tonnage total. Pendant l'été 1958, le Parti prit directement en main l'agriculture et donna l'ordre de labourer profond et de semer serré près de la moitié des terres cultivées. Mais pareilles pratiques exigent de la prudence et une soigneuse coordination avec l'amendement. Le régime agit sans discernement, ce qui eut pour résultat de débiliter ou de tuer beaucoup de plantes, d'appauvrir une bonne partie du sol. A l'automne 1959, Pékin devait reconnaître : « Ce que nous avons gagné ne compense pas ce que nous avons perdu. » D'autres dommages furent causés par la « bataille des récoltes ». A ses débuts, ce fut un Biblioteca Gino Bianco 265 assaut ambitieux à la fois contre l'agriculture, la pêche, l'élevage et la sylviculture. Le résultat fut de réduire les cultures alimentaires. Le régime renversa alors la vapeur : « Concentrez vos efforts sur les cultures alimentaires ; négligez les activités auxiliaires. » Les kanpou (cadres) du Parti firent raser des centaines de milliers d'hectares de coton, de chanvre, de thé, de mûriers, de pêchers, d'orangers, de litchis et de bambou pour les transformer en rizières précaires, en champs de blé et de pommes de terre mal pré- , pares. En Chine, chaque vallée, chaque plaine a sa particularité en matière de sol, de climat et de besoins économiques. Au cours des siècles, les paysans ont appris quelles cultures sont les plus avantageuses. Dans une région séricicole comme celle de Canton, les paysans s'adonnent à la pisciculture comme activité d'appoint. Ils emploient les déchets des vers à soie pour nourrir le poisson, puis enlèvent la vase des étangs pour fertiliser les mûriers. Tout est utilisé, rien n'est perdu. Lorsque, dans un village voisin de Canton, les mûriers furent rasés par les robots zélés du Parti pour planter du riz, le cycle entier de l' économie agricole en fut bouleversé. Une perturbation analogue fut causée en labourant trop profond, en semant trop serré, en plantant trop tôt, en n'utilisant pas les plantes ou les semences adéquates, en employant trop ou trop peu d'engrais ou en ne laissant pas en jachère les champs qui en avaient besoin. Toutes ces erreurs portèrent un grave préjudice aux récoltes. Le désastre causé en 1959 par les sauterelles est un autre exemple édifiant du don des bureaucrates du Parti pour aggraver les calamités naturelles. Au début d'avril, des paysans du Honan découvrirent quelques jeunes sauterelles et le signalèrent au kanpou de la commune. Celui-ci leur passa un savon : « Le maïs et le soja viennent de germer et le froment sera bientôt mûr. Il n'y a même pas assez de bras pour désherber et fumer la terre. Comment détacher de la maind'œuvre pour la lutte contre les parasites ? D'abord les affaires urgentes. » Les paysans en appelèrent au commissaire de l'endroit. Ils furent éconduits : « En voilà une histoire... Tout ça pour une petite bête... Nous allons de toute façon avoir un jour ou l'autre une campagne de lutte contre les insectes. Pourquoi soulever de~ difficultés maintenant ? » Deux mois plus tard, en une nuit, les cultures étaient dévorées dans deux cantons. Immédiatement le secrétaire du Parti de la province tira la sonnette d'alarme et publia une série d' « ordonnances concernant l'extermination rapide des sauterelles ». Trois jours durant, à la mi-juin, 1,3 million de paysans furent jetés dans une bataille d'extermination épique contre un océan d'insectes. Trop tard. Les cultures, l'herbe et les feuilles des arbres étaient nettoyées sur 4.000 km2 dans 48 cantons. Les sauterelles envahirent ensuite les provinces voisines de
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