264 légendaires, on essaie de domestiquer le fleuve - Jaune, surnommé « fléau des enfants de Han ». Ce fleuve de 4.1 oo kilomètres, au bassin égal en superficie à l'Italie, à la Suisse et à la Norvège réunies, a dévasté la plaine 1.500 fois en 3.000 ans; son cours a subi neuf déplacements importants, son embouchure se transportant parfois de la manière la plus désordonnée sur des distances pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres. Que l'on ajoute à tout cela de fréquentes tempêtes de poussière dans le Nord-Est aride, des typhons le long des côtes, des insectes nuisibles partout, des tremblements de terre rares mais violents, et l'on verra que le sort du paysan chinois a toujours dépendu des calamités naturelles. Comme les paysans tirent les trois quarts de leur nourriture directement de leur propre terre, lorsque la disette frappe, c'est toujours la faim et souvent la famine. Les inondations de 1887 firent un million de morts, 800.000 personnes perdirent la vie lors du grand séisme de 1556 et 246.000 autres dans celui de 1920. En outre, après des siècles d'exploitation par une vaste population agricole, il reste à la Chine fort peu de végétation naturelle. Les forêts ne représentent qu'un dixième de sa superficie totale (ce qui la place, proportionnellement, au 8oe rang environ). La capacité qu'a le sol de conserver l'eau est par conséquent extrêmement faible et un écoulement excessif est une cause déterminante des inondations. Autre cause importante, la rupture des digues. Le fleuve Jaune, le plus envasé du monde, dépose chaque jour dans son delta une masse énorme de sédiments. Sur des centaines de kilomètres, il coule entre des digues dans un lit situé très au-dessus du terrain environnant, le limon rehaussant constamment le fond. Une seule brèche peut vider le fleuve tout entier, à perte de vue, dans la plaine Jaune au peuplement très dense, submergeant parfois la contrée pendant une année entière. Beaucoup d'autres cours d'eau de la Chine septentrionale coulent de même dans un lit élevé, entre des digues précaires, et les inondations de cette région sont le plus dévastatrices. Lorsqu'une trop grande quantité d'eau se concentre en un endroit, il en manque forcément ailleurs : en Chine, la sécheresse est plus fréquente que les inondations, encore plus dévastatrice, plus étendue, et elle dure plus longtemps. CoMME,historiquement, la Chine est un pays de catastrophes, il est tentant d'en conclure que la famine actuelle est dans l'ordre des choses. Or ce n'est pas le cas. Certes, Pékin en a monté en épingle les causes naturelles tout en minimisant les autres facteurs. Mais la famine actuelle est due moins à de soudaines calamités naturelles qu'aux graves erreurs d'une bureaucratie extrêmement efficacequand il s'agit de surveiller B1bl_iotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le peuple, mais qui manque du plus élémentaire bon sens. Une bonne part des inondations et sécheresses de ces dernières années ont été aggravées et parfois directement causées par plus de dix ans de méthodes pseudo-scientifiques dans l'agriculture, l'irrigation et le traitement des sols. Chaque année, depuis la prise du pouvoir par les communistes en 1949, la surface totale des terres cultivées affectées par les calamités naturelles n'a cessé d'augmenter : de 52.000 km2 en 1950, elle passait à 116.000 en 1954, à 152.000 en 1956, à 312.000 en 1958, à 428.000 en 1959, et à 592.000 en 1960. Il est certain que le chiffre de 1961, quoique jamais annoncé officiellement, a été pour le moins égal à celui de 1960. Il ne s'agit plus aujourd'hui de perturbations naturelles atteignant passagèrement quelques provinces, mais d'un épuisement du sol et des gens à l'échelle nationale, résultat cumulatif de douze années de violences faites à la nature et à l'homme. La recherche par Pékin d'une « percée » en matière agricole s'est traduite par un effondrement. Au début, les communistes tentèrent de mettre en œuvre un gigantesque programme de mécanisation agricole à l'échelle soviétique ou américaine. Mais, à la différence de l'Union soviétique aussi bien que des États-Unis qui disposent de vastes plaines à peuplement faible, l'immense population chinoise est extrêmement dense partout où existent des terres arables. La plupart de ces terres sont des rizières ou des lopins en terrasse, à flanc de coteau, où le tracteur moderne est inutilisable. Les États-Unis possèdent 5 millions de tracteurs, !'U.R.S.S. 1,7 million. La Chine en a moins de 33.500, parmi lesquels 6. 700 sont hors d'usage : malgré leur utilité limitée, cela représente moins de 4 % du nombre estimé nécessaire par le régime. En octobre 1957, le Quotidien du peuple, organe officiel, dut enfin reconnaître : « Il est trop tôt pour parler de mécanisation générale. Nous n'avons pas de pétrole, trop peu d'animaux. L'acier est cher. Le coût des machines est excessif. » On se tourna vers la «semi-mécanisation», c'est-à-dire vers des instruments aratoires améliorés, à traction animale. La vedette en fut la charrue métallique ordinaire à deux roues et à ·double soc. A grand renfort de publicité, Pékin en produisit 3,5 millions en 1956 et 6 millions en 1957. Mais ce fut un fiasco : non seulement les charrues étaient trop lourdes pour les rizières et les champs en terrasse, mais elles étaient mal fabriquées ; beaucoup, flambant neuves, manquaient de certaines pièces. Bientôt, dans tout le pays, les paysans refusèrent de se servir de ce qu'ils appelaient la « charrue dormante». Pékin les accusa d' «hostilité envers les innovations » et' de « conservatisme arriéré ». Mais six mois plus tard on annonça la production d'un nouveau modèle, plus léger. Ces temps derniers, le régime encourage l'emploi de petits instruments fabriqués à la main. Mais la qualité de pareils engins laisse
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