Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

• LES AFFAMEURS par Valentin Chu Au TROISIÈME SIÈCLE av. J.-C., le souverain d'un royaume chinois qui souffrait d'une cruelle famine demanda conseil au sage Mencius. Le roi déplaçait fébrilement son peuple e.t ses ressources d'un bout à l'autre du pays dans l'espoir d'alléger la famine et de gouverner efficacement. Or la nation ne prospérait pas. Il se demandait pourquoi. Mencius dit au roi : « Si l'on ne contrarie pas les saisons de culture, il y aura plus de grain que vous n'en pourrez manger. Si des filets à mailles serrées ne sont pas jetés dans les mares et les étangs, il y aura plus de poisson et de tortues que vous n'en pourrez manger. Si la hache n'entre dans les collines et les forêts qu'au moment voulu, il y aura plus de bois que vous ne pourrez en utiliser. Mais vos chiens et vos porcs mangent la nourriture des hommes et vous ne les en empêchez pas. Les gens meurent de faim au bord des chemins et vous n'ouvrez pas vos greniers. Alors, vous dites : " Je ne suis pas responsable; c'est l'année. " Quelle différence avec le fait de poignarder un homme à mort en disant : " Ce n'est pas moi, c'est l'arme " ? » Vingt-deux siècles plus tard, Mao Tsé-toung, souverain d'un autre empire chinois qui souffre de famine, déplace fébrilement peuple et ressources d'un bout à l'autre du pays, toujours dans l'espoir de gouverner efficacement. Lui aussi doit se demander pourquoi la faim reste le fléau de son peuple. Car il y a de quoi être surpris. En effet, pendant la décennie 1949-59, l'augmentation de la production alimentaire a été de sept fois supérieure à l'accroissement de la population. Même dans les plus dures conditions naturelles, il aurait dft y avoir assez de réserves pour prévenir une famine. Pour résoudre cette énigme, il faut étudier à la fois l'économie agricole traditionnelle de la Chine et le programme du régime communiste depuis la prise du pouvoir en 1949. La terre de Chine est loin d'être idéale pour l'agriculture. Le pays est plus montagneux que les États-Unis, !'U.R.S.S. ou l'Inde. Près de 70 % de ses terres sont situées à plus de 900 mètres au-dessus du niveau de la mer, et 15 % seulement à moins de 500 mètres. Son climat va de l'été subtropical à l'hiver sibérien. Les terres arables sur le continent représentent I ,05 million de km2 , soit un dixième seulement de la superficie totale. Sur ce chiffre, 30 % sont du bon sol, 40 % du moyen, le reste est de qualité inférieure. Pour maintenir un niveau de subsistance minimal, les quatre cinquièmes de la population doivent travailler un dixième des terres. En Union soviétique, la moitié de la population travaille la onzième partie des terre~ pour assurer un maigre niveau de vie. Aux Etats-Unis, un huitième de la population cultive un cinquième des terres, ce qui crée un problème de surproduction et accumule d'importants excédents. Malheureusement pour les Chinois, la fertilité de leur sol n'a jamais pu égaler leur propre fécondité ; dans ce pays, il est plus facile de procréer que de nourrir. Mais le manque de terres arables et une population trop nombreuse ne sont pas les seuls problèmes. En Chine, une année sans calamités naturelles est une année bénie. Les paysans y ont toujours été à la merci de leurs montagnes érodées et de leurs cours d'eau capricieux. L'histoire de la Chine enregistre 1.397 sécheresses graves depuis l'ère chrétienne. Les inondations n'ont pas été moins désastreuses. La rivière Houai, dont le bassin a une superficie représentant six fois celle des Pays-Bas, mais qui n'a pas d'embouchure à elle, inonda sa vallée 979 fois en 2.200 ans. Le puissant Yang-tsé, tr9isième fleuve du monde par sa longueur, dans la vallée duquel vit presque la moitié de la population chinoise, a connu 242 inondations et sécheresses en 265 ans. Depuis les temps Biblioteca Gino Bianco

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