Le Contrat Social - anno VI - n. 5 - set.-ott. 1962

MARX ET L'ALIÉNATION* par Sidney Hook KARL MARx n'est pas un auteur facile. Il écrivait avec plus de passion que de précision, presque toujours engagé dans la critique ou la polémique et s'exprimant bien souvent dans un langage étranger aux démarches de la pensée anglo-saxonne et à des cultures à base d'empirisme. Nul ne peut se libérer complètement du passé, même en se révoltant contre lui. Certains écrits de Marx fourmillent de références à la tradition philosophique hégélienne dont il était nourri. Même sans les expressions spécifiques de Hegel, les harmoniques n'en sont pas moins là. Lorsque, la maturité venue, l'esprit critique l'emporta en lui, il s'en prit cependant non seulement à Hegel, mais aux jeunes-hégéliens : David Strauss, Bruno Bauer, Arnold Ruge, Moses Hess, Max Stimer, Ludwig Feuerbach - pour ne citer que les plus éminents. Or, si la relation de Marx à Hegel fait l'objet de maints écrits, on examine relativement peu les rapports de Marx avec les jeunes-hégéliens, en dépit de leur intérêt encore plus grand. Certaine'~ idées faus~es . des,. plus répandues s~ le 1:11arxisme,;1.P~rticulie~ l i~terprétation qui fait du materialisme historique une forme d'hédonisme égoïste, ou encore l'idée que Marx était un hérétique judéo-chrétien dont l'idéal social était l'amour - comme s'il pouvait s'agir d'un art d'aimer ... - ne tiennent guère quand on étudie ses critiques à l'égard de Stirner et de Feuerbach, de Hess, de Karl Grün et de Karl Heinzen. Qui plus est, l'examen des rapports de M~rx avec les jeunes-hégéliens conduit à une concepnon de sa philosophie sociale qui prouve bien que ce que Marx entendait par communisme était profondément différent du système de despotisme • Cet essai est tir~ de l'introduction à une nouvelle édition de PrDm H111l to Marx à paraitre prochainement. Biblioteca Gino Bianco politique et de terreu!, ?ù la cultur~ et l'éc~p.~mie sont mises au pas, qui regne en Uruon sov1et1que. Marx était un socialiste démocrate, un humaruste laïque et un champion de la liberté humaine. Ses paroles et ses actes respirent une indépen1ance critique, une croyance en un mode de v1e en complet désaccord avec l'empire absolu de la dictature du parti unique. Au cours de son existence, Marx se qualifia à plusieurs reprises de communiste afin de se distinguer d'autres socialistes du temps. Sa pensée différait de la leur quant aux moyens .et aux conditions nécessaires pour mettre sur pied une économie rationnelle excluant l'exploitation de l'homme par l'homme. S'il vivait aujourd'hui, avec, sous les yeux, l'atroce caricature de son idéal social offerte par les pays qui se prétendent « communistes » ou « démocraties populaires », il ne fait aucun doute qu'il aurait choisi un autre terme pour se définir lui-même. Cela non seulement pour protester contre un outrage à la sémantique, mais pour faire le plus nettement possible le départ entre son propre idéal d'une société socialiste où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous, et, d'autre part, les pratiques communistes actuelles dans lesquelles l'individu, en particulier l'individu critique qui a le sens de la dignité humaine, est impitoyablement écrasé. Néanmoins, une analyse objective se doit de reconnaître que, pour éloignées que soient les cultures communistes de l'idée que Marx se faisait d'une société socialiste, leur existence même est un très grave défi à la validité de sa théorie du matérialisme historique. Car celle-ci n'avait pas su prédire, ni même envisager, la simple éventualité d'une forme de servage industriel encore plus éloignée de la société socialiste que de la société capitaliste - les deux seules possibilités que Marx trouvât inscrites au pro-·

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