LE ET « CONTRAT LA GENÈSE SOCIAL» DES CITÉS par Léon Emery IL EST BIEN CONNU que dans le Contrat social de Rousseau l'élément le moins personnel est celui que définit le titre. Les commentateurs le retrouvent explicitement ou par équivalence chez Hobbes et Spinoza, Grotius et Puffendorf, sans parler des juristes et idéologues de la fin du XVIIIe siècle ; nous avons là une expression toute faite, un lieu commun de la pensée politique. Si la gloire et l'usage en ont fait don exclusif à Rousseau, c'est évidemment parce qu'on ne prête qu'aux riches, mais aussi parce que ce dernier possède, comme Gœthe, pouvoir de conférer la plénitude et la vie à ce qui n'est par soi-même qu'un instrument verbal. Le problème n'est donc pas d'analyser logiquement une formule stéréotypée; il s'agit de discerner les ondes que son emploi suppose et suscite dans la pensée de !'écrivain. Dire qu'il tente de se représenter, conformément à sa conception antérieure, le passage de l'état naturel à une vie sociale régénérée, c'est à peine une hypothèse et voilà qu'il faut se prononcer quant à l'origine des sociétés. Dès l'instant qu'on y réfléchit, on se rend compte, non sans quelque étonnement, que l'esprit n'a de choix qu'entre trois modes d'explication. La première théorie, la plus classique et même la plus naturelle, encore qu'elle s'allie à la religion, postule la fondation directe par les dieux ou les héros. D'une matière humaine dispersée ou informe, un décret suréminent, transcendant peut-être, fait sortir un organisme vivant qui est en même temps un ordre, une architecture politique. Qu'il y ait là autant de réalité historique que d'affabulation légendaire, c'est indéniable et personne ne conteste radicalement les exemples les plus fameux du synécisme des clans ou des fédérations dont naquirent les cités ; mais dans tous les cas le rôle le plus visible, le plus nettement personnalisé, appartint au législateur ~ui fixa les lois et donc imposa le contrat social investi d'une autorité traditionnelle et consacrée. Un Solon n'est qu'un arbitre, un réformateur, qui fait adopter un expédient ; Moïse, Manou, Lycurgue sont législateurs au sens absolu du terme. En principe, le contrat social ainsi édicté a valeur proprement créatrice; il est l'être de la cité, un être immuable par nature. Mais on entend bien que ce principe subit l'usure des siècles, la Biblioteca Gino Bianco participation forcée à l'évolution générale des consciences. Il vient donc toujours un moment où l'on n'admet plus que le contrat social dépende entièrement d'une puissance spirituelle qui s'e~t exercée de haut en bas dans le sens de la verticale. La montée des citoyens vers la pleine conscience politique, l'affaiblissement des croyances, la convoitise de la liberté, font paraître l'idée ou l'image d'un contrat plus nuancé, plus empirique et qui, les choses étant poussées à l'extrême, devient égalitaire et démocratique, œuvre des hommes, non plus des dieux ou d'un surhomme. Il ne reste plus enfin qu'à faire intervenir la pensée scientifique et génétique, à considérer la cité comme un corps vivant, comme le Gros Animal de Platon ou le Léviathan de William Hobbes ; on ne sera pas contraint pour autant de s'interdire tout recours aux autres doctrines, mais on déduira, au moins partiellement, la sociologie d'une très complexe biologie engagée dans l'histoire et l'histoire naturelle. QU'EN EST-IL maintenant de Rousseau? Lorsqu'il nous entraîne par les prestiges d'une superbe éloquence dans la démonstration déductive qui organise la première partie de son livre, on le sent tout brûlant d'ardeur polémique et justicière, tout plein des idées qu'il a maniées comme des armes dans sa bataille contre la cité corrompue, contre la grande Babylone moderne. Ne lui demandons pas d'être un savant qui chemine pas à pas, un Montesquieu qui, pendant quarante ans, accumule des notes ; il balaie en quelques pages tous les régimes qui engendrent l'injustice, .autant dire tous ceux qui ont pris rang dans l'histoire ou l'actualité ; il se précipite vers sa conclusion. Démarche de poète ou de voyant qui commence par la fin, qui développe le raisonnement, si bien lié qu'il paraisse, en fonction d'une illumination. Pourquoi ne pas dire en passant que s'il existe entre Pascal et Rousseau d'énormes différences qu'il serait bien superflu d'énumérer, l'allure de leur pensée ne laisse pas de révéler de curieuses analogies ? Il va de soi que pour Pascal le terme de son argumentation est présent en lui a priori, sous la forme d'une lumière céleste ; de même, Rousseau ne saurait douter de ce qu'affirment son espérance et sa foi, antithèse nécessaire de l'âpre
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