Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

144 .l'aide d'une lance d'incendie : il pleura. » Du Gouvernement provisoire : « Il faisait le tour du brasier de la révolution sur la pointe des pieds, suffoqué par la fumée et se disant : quand tout sera réduit en cendres, nous tâcherons d'aviser. » Des socialistes du premier gouvernement de coalition : « Tenus de participer au gouvernement au nom des intérêts de !'Entente (...), les socialistes prirent sur eux un tiers du pouvoir et la totalité de la guerre. » Bernard Shaw, qui lui-même s'entendait à manier le couteau de cuisine, écrivit à propos de ce livre : « Lorsque Trotski coupe la tête à son adversaire, il la brandit pour montrer qu'elle n'a pas de cervelle. » Le metteur en scène LE PREMIEROBJECTIdFe l'orateur de 1917 aussi bien que de l' écrivain des années 30 était d'enflammer les passions, par-dessus tout d'attiser la haine. Non pas tant la haine de l'ancien régime, qu'il détestait de manière froide, professorale, presque sans passion, et qui d'ailleurs était déjà moribond six semain~s avant que Lénine ne revînt pour renverser << le gouvernement le plus libre du monde » et dix semaines avant le retour de Trotski en Russie. Mais bien plutôt la haine des libéraux, des démocrates, des socialistes modérés ou conciliateurs, des pacifistes, des défenseurs de la nouvelle Russie et de ce gouvernement qui, contrairement à celui que Lénine et Trotski voulaient instaurer, avait la modestie de se considérer simplement pré-légitime et de s'intituler « provisoire ». Comme orateur, Trotski était particulièrement efficace dans les moments où une masse fruste et normalement passive d'hommes et de femmes inorganisés se trouvait agitée et tirée de ses réactions habituelles, égarée et livrée au désespoir par le chaos montant de la guerre, de la débâcle et de la révolution. Il était alors capable d'attirer le chœur des masses au centre de la scène, de lui donner le sens de son importance, immense quoique passagère (dans l'idée de Trotski, et plus encore dans celle de Lénine, l'action indépendante des masses devait durer peu de temps). Il savait, exploitant le trouble et le sentiment de frustration, susciter la croyance en des solutions faciles, attiser la colère, la haine, la méfiance et le mépris à l'égard de tout le monde, hormis les bolchéviks. Pour les scènes de masse montées par Trotski, les marins de Cronstadt formaient un public et une troupe de prédilection. Ayant dû sub~r les règlements de ce minuscule despotisme flottant qu'est un cuirassé, ils s'étaient soulevés contre toute discipline, contre tout gouvernement. Rejetant non seulement le Gouvernement provisoire, mais encore !'Exécutif des Soviets, ils avaient proclamé leur « République soviétique indépendante ». Leurs officiers furent jetés sans jugement dans les cachots où les hommes avaient euxmêmes été enfermés, ils fu~ent même noyés ou Biblioteca Gino. Bianco LE CONTRAT SOCIAL lynchés en grand nombre. « Les plus haïs, fait observer Trotski, furent poussés sous la glace 3 • » « Des actes sanglants de représailles, ajoute-t-il d'un ton sentencieux, étaient aussi inévitables que le recul d'un fusil 4 • » Même lorsque, pour une fois, Trotski s'efforça de freiner la haine dont il jouait (Tchernov était sur le point d'être lynché), il ne manqua pas d'user de flatterie : « Vous êtes accourus, m1rins rouges de Cronstadt, dès que vous avez su le danger qui menaçait la révolution... Vive Cronstadt la rouge, gloire et orgueil de la révolution! 5 » Sur la place de l'Ancre, excitant les marins contre le Gouvernement provisoire et le Comité exécutif du Soviet, il déclàra : « On vous dit que la révolution peut se faire sans effusion de sang, mais la saignée est nécessaire à la révolution. Le temps viendra où chaque place publique de Russie s'ornera de cette remarquaple invention de la Révolution française qui raccourcit les hommes d'une tête 6 •. » En 1921, Trotski enverra des troupes d'élite encadrées par des délégués au Xe Congrès du Parti pour mater les marins de Cronstadt, la « fleur de la révolution ». Il ne savait plus comment mettre un terme à une opposition anarchique au règne de la dictature ; mais de cet épisode il n'est pas question dans les trois volumes de Trotski. Méthode ~historique EN BONHISTORIEN((marxiste », Trotski ouvre son livre sur un tableau économique, puis passe à la structure des classes, aux luttes de classes, aux partis de classes et procède à une analyse de classe pour chaque action, discours, projet ou personnage. Le tableau économique commence par rendre compte du retard de la Russie, lequel, selon _Trotski,présentait d'immenses avantages. D'ordinaire, on considère que, plus tard un pays commence à s'industrialiser, plus facilement il emprunte les dernières techniques aux autres pays sans avoir à passer par les phases initiales et sans être alourdi par de nombreuses installations désuètes ·ou vieillissantes. Pour Trotski, les avantages sont avant tout de nature politique et · l'autorisent à énoncer ce qu'il tient pour la « loi fondamentale » de la révolution russe. Tout d'abord, plus l'économie est arriérée, plus la bourgeoisie sera faible et plus retardataire la 3. Léon Trotski : Histoire de la révolution russe, t. I, Paris 1933. . · 4. Ibid. 5. L'épisode se trouve dans l' Histoire de Trotski, vol. II, mais les parples du discours sont rapportées in N. N.· Sukhanov: The Russian Revolution: 1917, New York 1955, p. 446. Dans l'original de Soukhanov, Zapiski o révolioutsii, l'épisode et les paroles se trouvent dans le vol. IV, pp. 423-435. 6. Ces mots nous furent rapportés par feu Vladimir Voïtinski, qui représentait le Comit ! ex!cutif du Soviet lors du débat avec- Trotski sur la place de l' Ancre, à Cronstadt. Elles sont publiées dans l'ouvrage posthume de Voïtinski, Stormy Passage, Vanguarj Press, New York 1961.

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