Le Contrat Social - anno VI - n. 3 - mag.-giu. 1962

B.D. WOLFE structure d ·m~c~~rique, qu~ Trotski rattache par dogm1tism.! à ce qu'il nomme la « révolution démocratique bourgeoise ». Il s'ensuit que lorsque la Russie adopte les techniques de l'industrie lourde moderne, elle crée un prolétariat plus concentré, plus puissant et naturellement plus révolutionnaire que la bourgeoisie. D'où le mot d'ordre : « Pas de tsar, mais un gouvernement ouvrier. » La bourgeoisie doit être sacrifiée en même temps que la « révolution démocratique » identifiée à son règne. Ensuite, plus une révolution a lieu tardivement, plus « avancée » est l'idéologie qu'elle peut importer. La Russie renverse le tsarisme au xxe siècle, un siècle trop tard - de nouveau le dogmatisme - pour la révolution démocratique ou l'Assemblée constituante. « Au milieu du xvue siècle, écrit Trotski, la révolution bourgeoise s'est déroulée en Angleterre sous le couvert d'une réforme religieuse. » Au xv111e siècle, la France a pu se passer de la Réforme. Au xxe siècle, après l'épanouissement du socialisme marxiste, « de même que la France avait sauté par-dessus la Réforme, la Russie a sauté par-dessus la démocratie formelle » 7 • La dictature soviétique est, par définition, la dictature du prolétariat. (Ecrivant en 1930-32, Trotski n'indique nullement qu'en fait, la dictature est celle d'un parti sur toutes les classes, y compris celle des travailleurs, et cela au nom du prolétariat.) C'est pourquoi elle peut se dispenser de « démocratie pure », tout comme la Révolution française s'était dispensée de « la Réforme ». Ces propositions ayant trait au « retard » et aux « emprunts » constituent le cœur de la fameuse « loi du développement combiné » de Trotski. Cette « loi générale » conduit à d'innombrables déductions, inférences, corollaires et remarques incidentes dont voici un exemple caractéristique : Nous pouvons énoncer ceci comme une loi : plus les gouvernements révolutionnaires sont libéraux, tolérants, « magnanimes » envers la réaction, et plus leur programme est creux, plus ils sont liés par le passé, plus leur rôle est conservateur. Et au contraire : plus ses tâches sont gigantesques, plus le nombre des droits et intérêts acquis à détruire est grand, et plus concentré sera le pouvoir révolutionnaire, plus franche sa dictature 8 • Pareilles affirmations sont invariablement traitées comme tombant sous le sens et sont là pour résoudre toutes les questions. Notre historien considère le concept de classe comme non moins évident et facile à invoquer de manière dogmatique. C'est pour lui un axiome qu'une seule classe doit tenir les rênes dans une révolution, au xxe siècle, et qu'une seule s'imposera pour devenir maître unique et nécessaire7. Trotski : Histoire, t. I. 8. Ibid. Biblioteca Gino Bianco 145 ment autoritaire, à savoir le prolétariat. Non moins axiomatiquement, il n'existe qu'un seul parti qui soit prolétarien et socialiste ; tous les autres sont bourgeois, ou bien (ce qui est à la fois plus indulgent et plus méprisant) petit-bourgeois. Si un parti croit que le peuple ( narod) doit faire la révolution et gouverner, et s'il estime que ce narod comprend à la fois les paysans et les ouvriers, et même les intellectuels - comme ce fut le cas des socialistes-révolutionnaires, - ce parti est dit petit-bourgeois. Un parti aurait-il un programme commun avec les bolchéviks, comme les menchéviks entre 1903 et 1919, cela ne lui conf ère nullement la qualité de prolétarien ou de socialiste. L'histoire réserve ces titres aux bolchéviks, parti de Lénine et de Trotski. Ainsi l'histoire politique devient étonnamment simple. Toute résolution de l'Exécutif du Soviet, composé jusqu'à Octobre d'une énorme majorité de socialistes-révolutionnaires et de menchéviks, avec seulement une minorité bolchévique, est automatiquement une décision bourgeoise, à moins que les bolchéviks ne l'aient proposée ou votée. La Douma de Moscou, issue d'un vote groupant 58% de S.-R., un peu moins de 12 % de menchéviks, un peu moins encore de bolchéviks, environ 17 % de constitutionnels-démocrates (Cadets) et pratiquement aucun réactionnaire, est censée représenter la bourgeoisie ou la « pression des milieux bourgeois » chaque fois qu'elle prend une décision désapprouvée par les bolchéviks. La guerre constitue également un problème des plus simple : elle est bourgeoise impérialiste par définition. Il s'ensuit que ceux qui veulent la continuer - même s'ils renversent Milioukov parce qu'il exprime des « visées impérialistes », même s'ils s'efforcent d'imposer aux Alliés et aux Empires centraux une paix sans vainqueurs ni vaincus, s'ils sont pour le droit de tous les peuples à disposer d'eux-mêmes, même s'ils veulent se limiter à défendre la Russie révolutionnaire contre l'envahisseur ou s'ils sont en faveur d'une paix séparée sans révolution supplément.iÏre en Russie et sans révolution mondiale - sont tous bourgeois imptrialistes par définition. Les problèmes du pouvoir - Gouvernement provisoire, dualité du pouvoir, pouvoir des soviets, Assemblée constituante, démocratie et dictature - sont résolus de manière tout aussi simple et infaillible grâce aux formules magiques de cet apprenti sorcier 9 • Le Gouvernement provisoire est capitaliste par définition. La dualité du pouvoir est le règne simultané de « deux classes » : l'une groupée autour du Gouvernement provisoire, l'autre, celle des « ouvriers et des soldats », autour du Soviet. Le Gouvernement provisoire est, ipso facto, bourgeois. Mais si le Soviet ne prend pas en main tout le pouvoir et continue de soutenir le Gouvernement provi9. L'expression sera justifiée à la fin de l'article.

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